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Choix de
farces
Emile Mabille
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132231
.£05
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y Google
FARCES
<
SOTIES & MORALITÉS
y Google
RARETÉS BIBLIOGRAPHIQUES
TIRÉES A CENT EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS
Exemplaire t^C 3¥
Marseille. - Typ. «t lui», cayer & et*, m* saint-Fsrrtai. 57.
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CHOIX
DE FARCES
SOTIES & MORALITÉS
DES XV* ET XVI* SIÈCLES
recueillies sur les manuscrits originaux
ET PUBLIÉES
Par Emile MABILLE
TOME II
A NICE
chez J. GAY & FILS, ÉDITEURS
rue Sainte- Clotilde, 3
1875
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FARCE NOUVELLE
DE
COLIN, fils de THÉNOT, etc.
475057
.A'
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NOTICE
LA FARCE NOUVELLE
De COLIN, fils de THÉNOT
Colin , fils de Thénot , revient de Naples,
où il n'a pas fait d'autres prouesses que de
s'enfuir et d'arrêter un pèlerin endormi
qu'il prend pour un Turc. Dans son
voyage, il pille la maison d'une pauvre
paysanne, qui vient se plaindre à Thénot
père , magistrat du lieu. Thénot fait mine
d'interroger son fils, qui fait mine, de son
côté , de ne rien entendre à la plainte , et
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8
FARCE NOUVELLE
se perd en récits de Pexpédition de Naples.
Ce quiproquo, entre la plaignante, le juge
et Colin, rappelle une des meilleures
scènes de la farce de Pathelin et fait tout
le comique de la pièce, dont le dénoue-
ment est le renvoi de la plaignante sans
justice et le mariage de Colin avec la fille
de Gautier Garguille. — Evidemment,
l'auteur a eu l'intention de ridiculiser les
justices de village.
Cette pièce a déjà été imprimée dans le
Recueil de plusieurs Farces; Paris, Nico-
las Rousset, 1642, in-12.
f3R
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FARCE NOUVELLE
DE
COLIN, fils de THÉNOT, le maire
qui vient de Naples
et qui amène un Turc prisonnier
A QUATRE PERSONNAGES
C'est à sçavoir
Thénot le maire, Colin son fils, la Femme
le PÈLERIN
thenot commence.
Vive Thenot , monsieur le maire,
Et aussi mon grant fils Colin ,
Or pleust à Dieu qu'il peust tant faire
De mettre le Grand Turc à fin.
Il reviendra quelque matin.
Il y a tantost six mois passés
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10
FARCE NOUVELLE
Qu'il partit , sans point de procès.
Se une foys il a entreprins ,
Rende soy Naples , ii est prins,
10 Et se garde qui se aymera,
Car ja homme n'eschappera ,
Qu'il ne soit prins ou mis à mort ,
Ou soit à droit ou soit à tort ;
Car ii est fier comme ung lion.
Jamais ne fut tel champion ,
Ne plus vaillant homme de guerre ,
Pour tost s'en retourner grant erre.
Mon grant père par hardiesse,
En cuydant acquérir noblesse,
20 Pour ce qu'il reculoit derrière,
Tomba dedans une carrière,
Où mourut sans qu'on l'en pust traire.
LA FEMME
Dieu vous gard , monseigneur le maire,
Je viens vous demander justice.
THENOT
C'est grant fait que d'avoir office.
Et bien ! bien je vous la feray.
LA FEMME
Ha! monseigneur, je vous diray,
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DE COLIN FILS DE THÉNOT 1 l
Il est venu un gentil astre ,
L'autre jour jusques à mon astre,
30 Après disner la relevée,
Tuer ma poule grivelée ,
Celle qui pondoit les gros œufs.
THrNOT
Estoit il tout seullet ou deux?
Declairez moy bien vostre cas.
LA 'FEMME
Deux? nenny, ils n'y estoyent pas :
Il n'y avoit qu'ion grand testu ,
Qui avoit un jaèques vestu,
Qui mist ma grand jeline à fin.
THENOT
Seroit ce point mon fils Colin?
40 II frappe de taille et d'estoc.
LA FEMME
Monseigneur, il tua mon coq ,
Et il me fit de grans oultraiges ,
Encore prit il deux fromaiges;
Ma foy, c'est un maulvais garçon .
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FARCE NOUVELLE
THBNOT
IL fault faire information ,
Pour pçavoir lequel ce peult estre.
LA FEMMB
Encore mist sa jument paistre
En mon jardin pour me pis faire.
Il est vray, monseigneur le maire ,
50 La vérité sera trouvée.
COLIN
Le diable y ait part à Tannée ,
Mon père, hau ! je euis venu.
THBNOT
Colin, es tu ja revenu?
Comment se porte la bataille ?
COLIN
Vous n'avez garde que j'y aille
Tant que j'auray la vie au corps.
THENOT
En y a-t-il beaucoup de morts?
Racompte moy de tes nouvelles ,
Et où sont Vicestre et Grenelle?
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DE COLIN FILS DE THÉNOT
13
60 Tu n'en fais point de mention.
COLIN
Je les laissay en un buisson ,
Où ils se tindrent pour l'assault.
Ils trembloyent, et si faisoit chault,
Mais c'estoit dé paour seulement.
Mais dictes moy, vostre jument,
Mon père , est elle pas venue ?
THBNOT
La jument! mais Tas tu perdue?
COLIN
Par ma foy, quelqu'un la happa.
Veez vous, elle m'eschappa;
70 Je ne sçay qui c'est qui la print ,
Je luy avoye dit qu'elle s'en vint ,
Par bieu, et si luy en feis signe.
LA FEMME
Vous avez tué ma geline ,
Je vous congnoye bien maintenant.
COLIN
Et puis quant je alloye escoutant
Ce que fusmes près de l'armée .
T. II. 2
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14
FARCE NOUVELLE
On dit qu'il y avoit journée.
Par ma foy, vous debvez penser
Qu'ils estoyent tous vestus de fer,
80 Et j'avoye mon jacques de touelle.
THENOT
Ne feistes vous pas du rebelle,
Quant à l'armée arrivastes ?
LA FEMME
Ha par ma foy vous la tuastes
D'une dague à large rouelle.
COLIN
Trois jours devant je vins à elle;
Doibs je dire, j'ouys sonner
Clairons, et moy de retourner :
Il ne faisoit pas bon au lieu.
LA FEMME
Vous la prinstes, par la croix bieu,
90 Alleluya coquelicoq ;
Et puis vous tuastes mon coq ;
Mon sieur, faites m'en justice.
THENOT
Colin , ce fut à toy grand vice ,
Se tu feis tout ce qu'elle dit.
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DE COLIN FILS DE THÉNOT 15
COLIN
Cuydez vous que j'ay grand despit,
Quant je perdis mon grand bonnet 1
La vieille me print au collet ,
Et me vint bailler sur le groing ,
Par bieu , cinq ou six coups de poing.
100 Et print mon bonnet sur ma teste.
THENOT
Et comment estoys tu si beste
De te gouverner de telle sorte?
COLIN
Le corps bieu , la vieille estait forte.
Si ne m'eust elle pas battu ,
Sans m'avoir premier abattu.
Mais toutefois j'en eus très bien.
THENOT
Hé deaî Colin, je t'avoye bien ,
Par bieu , racompté la leçon ;
Tu ne congnois pas la façon.
110 Du temps qu'à la guerre j'estoye,
Scez tu bien comme je faisoye ?
Je tenoye tousjonrs pied à boulle.
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1
16 FARCE NOUVELLE
LA FEMME
Vous eustes mon coq et ma poulie.
Je vous supplye, despeschez moy.
THENOT
Colin , ce fut mal fait à toy ,
Te laisser battre à une femme !
Qu'eusses tu fait contre un gendarme,
S'il t'eust présenté le combat?
COLIN
J'ay tousjours fuy tel débat
120 Plein de péril et hazardeux.
THENOT
C'est bien loin d'en combattre deux
A la fois ; mais je ne voy point
Ton jacques dessus ton pourpoint.
Où est il?
COLIN
Je l'abandonnay
A qui le voulut et donnay
Pour fuir plus légèrement;
Je le feis si secrètement
Que j'eschappay par devant tous.
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DE COLIN FILS DR THENOT
17
LA FEMME
He par ma foy, ce fustes vous
130 Qui moniastes en ma chasière ;
J'estoye en nostre cheneviere ;
Il fault dire du bien le bien.
Monsieur le juge, de rien
Je ne vouldroye jamais mentir.
COLIN
Mon pere, pour vous advertir,
Pensez que j'ay esté vaillant,
Combien que j'aye perdu contant
A Tannée mainte bonne brague.
THBNOT
Colin , hé monstre ça ma dague ;
140 Longtemps a que ne l'ay tenue.
colin
Ah 1 tredame, je l'ay perdue ;
La vieille la print au fourreau ;
Se n'eusse recullé tout beau ,
Je cuyde qu'elle m'eust frappé.
Mais toutesfoys j'en eschappé ,
Car, par ma foy, je m'en fouy.
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FARCE NOUVELLE
LA FEMME
Vous la prinstes dedans le ny ;
Aussitost que vous arrivastes.
Je scay bien que vous la fourastes
Incontinent en la besace.
COLIN
Quant nous fusmes devant la place,
Je ouy sonner drain, drain, drain;
Et moy de regarder le train ;
L'un crioit : Torche, frappe, tire.
THENOT
Qu'en scez tu ?
COLIN
Je l'ay ouy dire.
Quant je ouys cryer à l'enseigne,
Je vins derrière une montaigne
Etlaissay tous mes compaignons.
LA FEMME
Vous les mangeastes , mes oysons ,
Ou seul ou avec vos supposts.
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DE COLIN FILS DE THENOT 19
THENOT
Vous ne venez pas à propos ,
Vous ne faites que fatrouiller.
COLIN
Que venez vous icy brouiller?
Je regny.
THENOT
Ha, tout beau, Colin;
Reculez vous; il est hardy.
LA FEMME
Tout aussy vray comme je dy.
Ha je vous ay bien advisé ,
Combien que soyez desguisé ;
Vous aviez un hocqueton
Tant espès.
THENOT
Nous en jugerons
En temps et en lieu , ne vous chaille.
LA. FEMME
Vous qui mangeastes ma poulaille ,
Et aussy feistes vous mon coq ,
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20
FARCE NOUVELLE
Faictes moy justice , Thenot.
Se doibs je dire, monsieur,
Il me feit plus grand deshonneur,
Et je vous diray la manière :
Il empoigna ma chambrière .
N'estoit il pas bien mal courtois?
180 Et si luy fist deux ou trois fois.
THENOT
Est il vray?
LA FEMME
Ouy je l'y trouvay.
Le cas est congneu et prouvé.
Il n'y convient point d'autre preuve.
COLIN
Mais cuydez vous, quant on se trouve
Seulement à les voir de loing ,
Il est bien de fouyr besoing,
On y donne de mauvais coups.
LA FEMME
Thenot, je veuil parler à vous;
Se vous n'en faictes aultre chose
190 De ma cause , je m'y oppose:
Fornicalement j'en appelle.
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DE COLIN FILS DE THENOT 21
Aussy fault que je me rebelle.
Je mettray alligation
Sans vostre juridiction,
Et m'en croiray aux accidens.
THENOT
Par bieu , en despit de vos dens ,
Meshuy rien je n'en jugeray.
LA FEMME
Il me souffit, je m'en iray.
COLIN
Affin que plus on ne devine ,
200 Ce fut moy qui tuay la geline.
Elle couroit , je saulx à cop
A tout ma dague, et feiz : sop ;
Je la frappay en trahison.
THENOT
Colin , la femme avoit raison
De se plaindre par devant moy.
Mais escoute que te diray :
Comment eus tu la hardiesse
De la poursuivre ainsy sans cesse ,
Tant que tu l'eusses mise à mort ?
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22
FARCE NOUVELLE
COLIN
210 Mon père, j'ay bien fait plus fort,
Et pour cela, ne plus ne moins,
J'ay bien aultre chose en mains.
Ce n'est pas comme de la vasche. ,
Que comme vaillant et non lasche ,
Vous amenastes une foys.
THENOT
As tu ouvré de plus grant poix ,
Mon fils Colin , pour abregier?
COLIN
Mon pere, j'ay un prisonnier,
Que j'ay attrapé en chemin.
220 Je croy que c'est un Sarrazin ,
Car il parle baragonnoys.
Je le prins au pied de la croix ,
En venant de Naples à Romme.
Oncques ne vistes un tel homme.
J'ay esté vaillant , Dieu mercy.
THENOT
Colin , ameine lny icy.
Velà bien besongné à toy.
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DE COLIN FILS DE THENOT 23
COLIN
Venez doncques avecques moy,
Ou autrement je le lerray :
230 II porte un grand baston ferré ,
Par Nostre-Damo ! je le crains .
THENOT
J'ay mon bon baston à deux mains.
Où Tas tu bouté en prison?
S'il n'est bien en forte maison ,
Je l'attraperay se je puis.
COLIN
Je l'ay bouté derrière l'huys ;
Il n'a garde d'en eschapper,
Véez le là.
THENOT
Veult il point frapper?
COLIN
Regardez le moy à la trogne.
THENOT
240 Ça, niaistre, ça, je vous empoigne:
Regardez se je suis vaillant.
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M
FARCE NOUVELLE
L'as tu bien conquesté si grant ?
Colin , tu estois vaillant homme.
COLIN
Et je le prins au premier somme ,
Cependant comme il dormoit ,
Et j'escoutay comme il ronfloit.
Alors le couraige mecreut.
THBNOT
De paour qu'il ne t'aperceust ,
Il estoit saison de le prendre.
250 Combien de rançon veulx tu rendre?
Je regny.
LE PELERIN
Got , fadracot garare vestud my ,
Touffe du lain mistrande.
THENOT
Mais que diable est ce qu'il demande?
Je n'entends point son jobelin.
Parle-t-il françois ou latin ?
Je ne scay sur ma conscience.
LE PELERIN
0 fillos aes dimplorare,
Filos meretre salment.
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DE COLIN FILS DE THENOT 25
THENOT
Veult il faire son testament?
260 Demande luy cujus casus.
De ton latin en scez tu plus?
Tu as tant esté à l'escolle.
LE PELERIN
Sardore sore basterolle ,
Hohart , zohart , belle fredrac.
THENOT
Àvoit il rien en son bissac ,
Quant tu le prins premièrement?
Tu le happas subtilement ,
Tu fus vaillant, il le falloit.
COLIN
Et je le prins où il dormoit ;
270 Je n'en fusse pas arrivé.
LE PELERIN
Âaon , mac god tu te rivé ,
Tison grac errac rencontre.
THENOT
Mais quelle lettre est ce qu'il montre ?
T. II 3
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26 FARCE NOUVELLE
Monstre la moy, mon fils Colin ;
Je cuyde qu'elle soit en latin.
Uni... uni... universis;
Les lettres sont si très menues,
Que je ne scay là où j'en suis.
Inspec... inspec...
COLIN
Inspecturis.
THENOT
280 Ah ! tredame, tu l'as trouvé !
Ma foy, j'estoye fort troublé,
Je la lisoye à revers.
Mais il est tant de maulvais clercs !
Pensez que voicy mal escript ;
Je cuyde que la lettre dit
Qu'il s'en va en pèlerinage.
LE PELERIN
Ouel , ouel.
THENOT
Il me disoit bien en courage,
Ma foy, qu'il estoit pèlerin.
Je le congnoys bien au latin.
290 Le diable y ait part à la prise!
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DE COLIN FILS DE THENOT 27
J'en eusses eu la robe grise ,
Colin , et ta mère de mesme ;
S'il eust esté sarrazinesme,
Il eust payé six mille solz,
Deslye ie tost, nous sommes folz.
Tu n'as pas fait nouveaux exploix.
Il fault aller tenir nos plaiz.
J'ay bien aultre chose à faire.
LE PELERIN
Queste hore commil consere
300 Horty hort, myne copue gigois.
THENOT
Il s'en va à Firlibois ,
Par bieu ! à Sainte Katherine :
Colin , la lettre le décline.
COLIN
Vous n'entendez pas la façon ;
C'est Nostre-Dame de Clairon ,
Par ma foy, je croy^ qu'il y a.
THENOT
Par saint Pere , c'est donc cela.
Je n'avoy pas bien extringué :
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28
FARCtë NOUVELLE
Ou je cuyde que le curé
310 Y mist de maulvais latinage.
COLIN
Quant je Pavisay au visaige ,
Afin que bien je vous dye ,
Je cuydoie qn'il fut de Turquie ,
Pour ce qu'il estoit si très grant.
thenot
Laissons ceci pour maintenant.
Que ay je fait de mon escriptoire?
Il me convient mettre en mémoire
Le cas de mes mémoriaux.
Gomment espeleray je houseaulx f
COLIN
3?0 Housiaulx (s, i, a, u, x,) siaulx.
THENOT
Ha ! par saint Jacques tu dis bien ,
Mais je ne scays se je oublye rien
Il fault regarder hault et bas.
LA FEMME
Hé ! perdray je Poye et le jars,
La poulie et le coq ensemble?
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DE COLIN FILS DE THENOT
29
Fault il qu'on desrobbe et emble
Aux povres gens ainsy le leur?
Je m'en voye par devers monsieur.
Et luy porteray de mes pommes ;
330 Monsieur, entre nous qui sommes
Sujets dessus vostre justice,
Vous nous debvez garder police.
Escoutez, car voicy pour vous,
Et pour Dieu, que me soyez doux ,
Onc ne tastastes de tel pomme.
THENOT
Venez vous comparoir soubz l'orme,
Vous aurez expédition.
LA FEMME
Vecy encore en mon giron
Du fromage un bon quartier.
THENOT
340 II fait bon estre officier.
Ils ont tousjours de grans profils.
Colin , escoute ça, mon fils •
Il est saison que on desplace.
LA FEMME
Je voys mener paistre ma vasche ,
n. 4 3
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30
FARCE NOUVELLE
Je reviendray incontinent.
Vous me trouverez seurement
Soubs l'orme où vous m'avez dit.
THENOT
Colin , par bieu , j'ay grand despit ,
Qu'il me convient aller à pied.
350 Le grand diable en soit loué ,
Quant tu perdis nostre jument.
COLIN
Le diable soit au perdement ,
Et quant onc je fus à la guerre.
Jamais ne partiray ma terre ,
Par le sang bieu ! ne mon pays.
THENOT
Que feras tu?
COLIN
Ventre saint gris !
Tousjours me venez harier,
Et brief, je me veux marier.
THKNOT
Marier ! et à quelle fille ?
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DE COLIN FILS DE THENOT 31
COLIN
360 A la fille Gaultier Garguille.
Je seray son mary, par bieu !
J'ay parlé à elle en un lieu,
Et si el me dit l'aultresfoys ,
Quant nous escossions les poys
De mon cousin Pierre Truette.
THENOT
Elle est assez belle fillette ,
Se ne fust que elle est boiteuse.
COLIN
C'est tout un, elle est plus joyeuse.
THENOT
Or laissons icy ce propos ;
370 II fault aller tenir nos plès ;
J'ay bien aultre chose à faire.
Allons, demourras tu derrière?
COLIN
J'y voys après incontinent.
THENOT
Or sus, sus, allons vistement.
Digitized by
32 FARCE NOUVELLE
Il fault aller nos plais tenir.
376 Adieu , jusques au revenir.
Icy fine la farce de Tiievot et Colin son filz. Imprimé
nouvellement à Lyon , en la maison de feu Barnabé
Ghaussard, près Nostre-Dame de Gomfort, mille
cinq cents quarante et deux, le XX dejuing.
Digitized by
FARCE NOUVELLE
A CINQ PERSONNAGES, etc.
Digitized by
Google
NOTICE
SUR
LA FARCE NOUVELLE
A CINQ. PERSONNAGES, etc.
Cette farce est, par son style et par la
manière dont elle est conçue . digne d'être
rapprochée de la Parce de Pathelin.
Une fille , fort novice, s'est laissée faire
un enfant par le beau Colin ; la mère , fu-
rieuse, jure qu'elle aura raison du séduc-
teur ou qu'elle lui arrachera les deux yeux.
« Comment , dit-elle ,
Digitized by
36
FARCE NOUVELLE
Faire en ma fille , en ma maison ,
Et puis dire pour tout potage :
Il n'y a point de témoignage.
Pour le premier, on le verra. »
Elle se décide à faire citer le beau Colin
devant l'official. C'est là un trait de mœurs
pris sur le vif. On sait qu'au XVI* siècle,
l'Eglise connaissait encore de toutes les
causes concernant les mariages.
Quoi qu'en dise le beau Colin, il y a dans
la cause présente un témoin : c'est un bon-
homme qui a tout vu et entendu par un
trou fait à la cloison. Il vient déposer;
mais le vieillard , au lieu de parler du fait
pour lequel il est cité , se perd en digres-
sions qui n'ont aucun rapport avec la
cause , et parle toujours du temps passé,
qui , à son avis , était bien préférable au
temps présent. Les différentes péripéties de
cette déposition, les alternatives d'espé-
rance et de crainte qu'éprouvent les par-
ties , rendent le procès fort comique ; et le
juge , après avoir bien tout examiné, com-
pulsé, pesé, rend son arrêt en ces termes :
Digitized by
A CINQ PERSONNAGES, ETC.
37
« Nous disons Colin avoir tort ,
Et de ce doibt estre bien fort
Blasmé et en payer l'amende.
Le mettons pour bien ordonner,
A cent sols , sans plus sermonner
D'amende, et le condamne aussi
De demander grâce et mercy
A Marion à deux genoux ;
Et payera à la justice
Les frais sans que sortir il puisse
De prison , premier que payer.
Puis espousera Marion ,
En grande consolation.
Voilà mà sentence rendue. »
Cette sentence est reçue par les cris de
joie des deux femmes et les malédictions
du beau Colin.
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FARCE NOUVELLE
A CINQ PERSONNAGES
C'est à sçavoir la Mère, la Fille, le Tesmoing,
l'Amoureux et l'Official.
— ~-K*GfJb*^* —
la hère commence.
Par la croix dieu! j'aymeroys mieulx
Luy avoir crevé les deux yeulx .
Que je n'en eusse la raison.
Faire en ma fille, en ma maison l
Et puis dire pour tout potage :
Il n'y a point de tesmoignage.
Pour le premier, on le voyra.
LA FILLE
Par ma foy, bien fait ce sera :
C'est un trompeur ; est pas ma mère?
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FARCE NOUVELLE
LA MÈRE
10 Ah! que j'ay de douleur amère
De ta fortune, Marion !
Il fault que nous te marions ,
Sy debvoit tout fol enrager.
LA FILLE
Hé dea ! pour quoy vint il rager
Tant de foys , comme vous sçavez.
LA MÈRE
Ah 1 Marion , pas vous n'avez
L'esprit encore assez propice,
Pour vous garder de la malice
De tel deable.
LA FILLE
Vous dictes vray.
LA MÈRE
20 Sy veulx je scavoir de vray,
Qu'en dira le juge, par dieu!
Je me suys trouvée en maint lieu,
Où j'ay fait consultation
Du cas ; mais la probation
Nous fera gaigner nostre cause.
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A CINQ PERSONNAGES, ETC.
Avec ce j'entends bien la glose.
Ta connois bien Guillot des Noix?
LA FILLE
Ouy, ma mère, je le congnoys,
C'est celuy qui très bien l'ouyt ,
30 Quant à sa chambre m'enclouist,
Et qu'il disoit : ma Mari on ,
Très bien ensemble nous serions ,
Voulez vous pas estre ma femme?
Quant luy répondys sur mon ame ,
Que j'en estoys très bien contente.
Lors y fist tout à son entente ;
Car ainsy vous me l'aviez dict.
Guillot est homme de crédit;
On le croira du premier coup.
LA MÈRE
40 C'est très bien dict : à coup, à coup ,
Je m'en voys, sans me consister,
Chercher sergent pour le citer;
Je croy qu'il n'y faillira pas.
LA FILLE
Allons, ma mère, pas à pas ;
Sa maison n'est pas loing d'icy.
ii. i
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42
FARCE NOUVELLE
l'official
Il y a longtemps que n'yssy
Hors du logis , pour aller voir
Mes gens et faire mon debvoir.
Je m'y en voy tout maintenant.
50 Celuy qui est droit maintenant ,
Est prisé de Dieu et des hommes.
la fille et la mère parlant ensemble dans
la salle revenant du sergent.
LA FILLE
Mère, c'est icy, nous y sommes.
LA MÈRE
Ge chemin est beaucoup plus court.
LA FILLE
Par mon serment voicy la court ,
Je le congnoy. Hé ! que de gens !
Que Ton médise des sergens ,
Qui vouldra , très bien je m'en loue.
Il ne me fera plus la moue .
Le trompeur ; monsieur le sergent
60 A esté bien fort diligent
De le citer. Voycy la lettre,
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A CINQ PERSONNAGES, ETC. 43
Où il ne fault oster ne mettre.
La voylà la relation.
L'OFFICIAL
Mon Dieu , quelle exclamation !
D'où vient ce grand bruit et tempeste?
LA MERE
Marion , tu es fine beste ,
Il fault finement sermonner.
l'official
Ceulx cy ne me font questionner
De leur procès.
LA MÈRE
Dieu vous gard , sire.
LE JUGE
70 Or ça ! qu'avez vous à me dire?
LA MÈRE
Monsieur, la plus grand trayson ,
Meschanceté et déraison
Que vous ouystes de vostre âge.
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44
FARCE NOUVELLE
l'official
Or bien , qui est le personnage
Qui vous a fait tel deshonneur?
LA MERE
Ce n'est pas un très grand seigneur,
C'est un nommé le beau Colin.
Que le chaud mal , saint Mathelin ,
Luy puisse ronger la cervelle !
80 J'avoys une fille très belle ,
Le meschant Ta deshonorée.
Et voycy la povre esplorée,
Qui de luy justice requiert.
l'official
Est il cité comme il appert?
Aultrement n'y saroys que faire.
Que pour cela on ne diffère ,
En voycy la relation.
Oh ! quelle babilation.
Laisse moy parler si tu veulx.
90 Monsieur, de Colin je me deulx,
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A CINQ PERSONNAGES, ETC. * 5
Qui a ma fille violée ;
Puys dit qu'il ne l'a accolée,
Combien qu'il luy ait sur bon gage,
Promis sa foy en mariage.
l'offigial parlant à la fille.
Est il vray ? or dictes, ma mye !
LA FILLE
Je n'estoye pas si endormye,
Que ne me soye bien aperceue
D'avoir esté ainsy deceue.
Mais à nul mal je n'y pensoys.
l'official
Colin , viens cy, où que tu soyes ,
Aultrement te mets en default.
le beau colin entre.
Il ne fault point cryer plus hault.
Me voycy en vostre plaisance.
LE JUGE
Or viens ça, par ta conscience
As tu congneu charnellement
Cette fille icy?
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46
FARCE NOUVELLE
COLIN
Elle ment ;
Je m'en rapporte à tout le monde.
LA MÈRE
Il ment ! le malheureux immonde ,
Je le veulx prouver fermement.
110 Or le prouvez donc vistement ,
Je vous en donne tout loysir.
Maie mort me puisse saisir,
Sy je luy fus rien de ma vie.
Par la doulce Vierge Marie ,
Monsieur, sans attendre plus loing ,
Voycy à présent mon tesmoing.
Examinez le s'il vous plaist.
l'official
Tesmoing , parlez sans plus de plaist.
Hé î ne me direz vous pas vray ?
le tesmoing entre.
120 Pour en savoir juger si bien ,
COLIN
la mère
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A CINQ PERSONNAGES, ETC. 47
Je ne vous mentiray de rien.
Je vous diray ce que j'en sçay.
Au temps passé que commençay,
A devenir frisque et dispos ,
On mettoit chopines et pots
Sur la table , et ne servoit on ,
En buffet par un valeton ,
Comme on fait en ce temps cy.
LE JUGE
Hé ! à quel propos tout cecy?
LE TESMOING
130 Monsieur, monsieur, sauf vostre grâce,
Il ne falloit farder sa face,
Pour sembler belle à son amy,
On ne parloit mot ne demy,
De mules qui ne mangent point. '
l'official
Vrayment, voycy un aultre point.
Que veulx tu dire par ce dict ?
LE TESMOING
Je dis qu'on chevauche à crédit ,
En espargnant avoyne et foin.
11 n'estoit point si grand besoin
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48 FARCE NOUVELLE
1 40 De dénoter robe à basquine ,
Pour ma dame la monsequine ,
Ny de monsieur Tacoustrement ,
Qui chevauche en cuir seulement.
0 chamberieres bien faschées ,
De voir si bien enharnachées
Vos metresses de belle crote,
Pagel allez quérir une hote.
Vous l'emplirez certainement
Des fanges, qui ont plainement
150 Gâté la robe à vostre maistre.
Par mon ame ! on deut mener paistre
Ces muletons, muleurs, muliers,
Qui pour ne gaster leurs souliers ,
Mettent grand peine pour se jour,
Se rompent le col nuit et jour,
A faire la tourne bouelle.
Au temps de la dague à rouelle ,
Et des souliers à la poulaine ,
On ne faisoit telle .fredaine ,
160 Que telles folyes m'ayst dieux !
l'official
Mais qu'est cecy ?
LE TESMOING
Je suis des vieux ,
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A CINQ PERSONNAGES, ETC
Je parle de longtemps , monsieur.
l'official
Vous estes un plaisant rieur :
Repondez à ce qu'on demande.
LE TESMOING
Monsieur, monsieur, la chose est grande,
Je parle d'une bonne guise ;
J'ay veu qu'on ne prenoit chemise
Fors que de deux moys en deux moys.
J'ay veu la mesure de bois
170 Estre pour six beaux sols donnée
Qui a bien valu cette année ,
Quarante six , c'est piteux cas.
J'ay veu qu'il n'estoit advocas ,
Que deux ou trois en ceste ville.
J'ay veu deux cens cas, voire mille,
Qui sont au rang des trépassés.
l'official
Encore n'est ce pas assez.
Sus , respondez , sans faulte nulle.
LE TESMOING
J'ay veu qu'il n'estoit qu'une mulle ,
180 Et une seule damoyselle ,
T. II 5
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FARCE NOUVELLE
En ceste ville layde ou belle.
Maintenant on en voit un cent.
Je ne scay pas que cela sent ,
Sinon que tous nobles deviennent ,
Et sy plus d'aultres en surviennent ,
Adieu vous dy la marchandise.
J'ay veu qu'on ne parloit de frise ,
De vasquines , ne vertugalles ,
Mais la maladie de galles ,
190 On a trouvé l'invention.
J'ay veu qu'on disoit un syon ,
Maintenant c est un casaquin ,
Dont est venu le damasquin ,
Qu'on grave en espée, en dague !
Pour vray, madame sainte Brague
En fut la première inventrice.
J'ay veu qu'on no trou voit nourrice
Dedans la ville de Rouen ;
Mais j'asseure par saint Ouen,
200 Que pour une on en trouve douze.
D'où vient que tout chacun se house ,
Pour se pourmener à l'église !
Par mon ame ! quant je m'avise ,
Tout est tourné à la rebours :
Les moutons d'or n'ont plus le cours,
On ne parle que de ducas ,
Et pour l'or à douze caras ,
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A CINQ PERSONNAGES , ETC.
51
On en fait bien à dix et huit.
J'ay veu qu'on ne blessoit de nuit
210 Les passans coxme l'on voit faire ;
Maintenant tout est à refaire,
Et tourne sens dessus dessoubz.
Du temps qu'on disoit meshureux ,
On ne parloit point de catere ;
Maintenant n'y a eau ne terre ,
Qui ne soit toute catereuse.
0 que la femme estoit heureuse
Et riche , qui au temps passé
Portoit en son cul rebrassé
220 De belle sarge ou ostadine.
0 quelle sembloit godine ,
Qui avoit en toute saison ,
Robe de drap en sa maison ,
Fourrée de beaux dos de gris ,
Ou de grignos ! ventre saint gris !
Il m'est advis que je les voy.
l'official
Je croy qu'il est tout hors de soy,
Mon amy répons à propos.
Je croy qu'avez rinché les pos.
230 Je ne parle du temps jadis ,
Respondez à mes propres dis :
Avez vous veu le beau Colin
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52
FARCE NOUVELLE
Avoir fait le heurte belin
Avec ceste fille présente ?
LE TESMOING
Vous ne voulez pas que je mente ;
Aussy no veux je , monseigneur,
Acouster; voycy le greigneur
Compte que vous oystes oncques.
l'ofpigial
Or sus , amy, despechez doncques ,
240 Je ne veuil estre icy meshuy.
LE TESMOING
Encor ne say je où j'en suis.
Attendez , monsieur, je disoys
Que le monde est creu de dix fois ,
Plus grand qu'il n'estoit de mon temps .
Et pour ce que bien je n'entens ,
Car tout est changé , comme on voit ,
Sy on le fait comme on souloil ;
Je ne scay que je vous doibs dire.
Mais sy vous diray je sans rire
250 Et sans mentir, que si on fait
D'œuvre des noces , en effet ,
Comme on faisoit au temps passé ,
Tout en est moulu et cassé.
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A CINQ PERSONNAGES, ETC. J
Je le jure certainement.
l'official
Tu le penses donc vrayment?
LE TESMOING
Ouy, monsieur, et cy le tesmoingnc,
Sy on fait ainsy la besongne,
Comme on faisoit quant je fus né.
l'official
C'est honnestement tesmoigné.
Tu les vis donc tous deux ensemble ?
LE TESMOING
Ouy, monsieur, comme il me semble ,
Mais Marion estoit dessoubz.
l'official
Quans escus, quans testons ou sous
Luy bailla-t-ii ?
LE TESMOING
Je n'en scay rien.
Toutefois, je vous diray bien ,
Et jureray sur ma conscience ,
Qu'el prenoit tout. en pacience,
5
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54
FARCE NOUVELLE
Et sans cryer fort haultement.
Faictes, dit-el, tout bellement,
270 Colin , vous estes bel et sage ;
Mais c'est à nom de mariage ,
Entendez vous, mon doux amy?
Colin ne faisoit l'endormy,
Mais ce mot un peu luy despleut.
l'official
Toutefois enfin le voulut.
Feist il pas ?
LE TESMOING
Ouy, ouy, sans faulte ;
Car elle avoit la jambe haulte,
L'une sur l'aultre fermement ,
Qui n'estoit grand esbatement
280 Au povre Colin , qui mouvoit.
Mais elle dit qu'il ne feroit
Rien qui fust , sans qu'il feist promesse
De l'espouser et sans finesse ,
En l'église de leur village.
Colin disoit : huy, huy, formage !
Contrefaisant la basse voix.
Un formage, par sainte Croix 1
Pour un formage n'en feray
Un coup, tant que vive seray,
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A CINQ PERSONNAGES, ETC. ™
290 Dit-elle. Ce voyant, Colin
Se laissa mener en belin,
Et bander tout à son aise.
, Il vous la tâtonne, il la baise ,
Il vous la couche sur le dos ,
Et après cinq ou six bons mos ,
Feist entrer Jean fray au bisacq.
Le chalic faisoit tic, tac ,
Cric , crac, cric, croc ; c'estoit merveille.
l'official
Par où l'oyes tu?
LE TESMOING
Par l'oreille ,
300 Car on n'oyt pas du bout du nez.
J'avoys rompu le bout d'un ays
D'entre leur maison et la mienne ;
Bien que chascune m'appartienne ,
Et par là voyois clerement
Tout leur joly contentement,
Que je vous ay cy raconté.
l'official
Vrayment tu m'en as bien conté.
Faictes approcher les parties.
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56
FARCE NOUVELLE
LA MÈRE
Hé bien ! serons nous départies?
310 Avons nous bien prouvé le cas?
l'official
Point ne fault avoir d'avocas ,
Car la matière est toute claire.
LA FILLE
Qu'en est ce?
l'official
Vous voulez vous taire.
Nous disons Colin avoir tort,
Et de ce doibt estre bien fort
Blasmé et en payer l'amende.
Oultre combien qu'il se défende ,
Mais à tort , d'avoir rien promis
À Marion , nous l'avons mis
320 Et mettons , pour bien ordonner,
A cent sous , sans plus sermonner,
D'amende , et le condamne aussy
De demander grâce et mercy
A Marion , à deux genoux ,
Nues jambes , entendez vous?
Et payera à la justice ,
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A CINQ PERSONNAGES, ETC. &
Les frais, sans que sortir il puisse
De prison, premier que payer.
LA MÈRE
Or sus , as tu bel abayer ?
LE JUGE
330 Tout beau î et sy l'ay condamne
D'estre ce jourd'huy mené ,
Avec un tabour et loure,
Et là sans que plus loin on coure ,
Il espousera Marion ,
En grande consolation.
Voylà ma sentence donnée.
LA MÈRE
Dieu vous envoyé bonne journée ,
Tant vous estes homme de bien !
COLIN
Un gros vilain estron de chien
340 Luy puisse estouper les babines !
Voylà des frauldes féminines !
J'en ay.
LE TESMOING
Il convient prendre en gré.
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58
FARCE NOUVELLE
COLIN
Qu'au gibet sois tu estranglé !
C'est par toy que je suis ainsy
LE TESMOING
Pourquoy luy faisoys tu ainsi?
Messieurs , Colin qui veult promettre ,
Soit par foy, par tesmoins ou lettre ,
11 doibt sa parolle tenir ;
Car on doibt quelque jour venir,
350 Devant le très souverain juge,
Qui vis et trespassés juge,
Et qui menteur trouvé sera ,
Par ses méfaits le jugera.
Il n'est donc qu'estre véritable ,
Et en foy très constant et stable.
Nous ne pensons avoir dit chose
Où aulcuns puissent faire glose.
Si on s'en sent piqué ou point ,
Messieurs, on ne l'entendons point.
360 Mais prions le Dieu supernel ,
Vous donner repos éternel.
En prenant congé de ce lieu,
363 Une chanson pour dire adieu.
FIN
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FARCE
DU POULIER
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NOTICE
SUR
LA FARCE DU POULIER
« Mari jaloux, qui a femme jeune et
jolie, ne peut dormir que d'un œil » , a dit
La Fontaine. C'est le cas du mari qui
figure dans cette Farce. — a Je gage, dit-il,
en voyant un galant dans la rue :
Que c'est l'un de nos amoureux.
Je ne saroys dormir pour eux;
Us ne cessent toutes les nuits :
L'un viendra heurter à mon huys ,
Puis l'aultre à mes fenestres rue ;
L'un siffle ou chante emmi la rue;
T. II. 6
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62
FARCE
C'est pitié t Je n'ay nul repos.
Encore , si j'en tiens propos
A ma femme , elle meveult battre. »
La femme, de son côté , n'est pas satis-
faite d'avoir un mari si sot, si malotru et
si jaloux que le sien. Elle ne peut faire un
pas que son mari ne lui demande : a D'où
venez-vous? Que faites-vous? Qui était
avec vous? Qu'est ceci? Qu'est cela? » La
surveillance à laquelle elle est soumise
l'exaspère , et elle se promet bien , aussitôt
qu'elle en trouvera l'occasion , de donner
quelque réalité aux soupçons de son mari
et de faire venir son amoureux. Elle en-
voie, dans ce but , son mari à la foire pour
acheter des pourceaux. Le mari part , non
sans avoir juré toutefois que s'il trouve
jamais un amant chez elle, il le tuera net.
— « Quoi I dit la femme , pans confession ?
— Ouy, certes, répond-il, et pour tant
qu'il vous en souvienne. » Malgré cette me-
nace, aussitôt qu'elle est libre , la femme
fait venir son amoureux, mais le mari
rentre chercher son chapeau , car il pleut,
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DU POULIER
63
et Tarnant , caché sous une couverture, en
ressort tout tremblant.
« Que le feu saint Anthoine Tarde.
Je n'en seray d'une heure asseur ,
Je n'ay membre qui ne me tremble, »
dit-il.
Pour se donner du cœur, les deux amants
se mettent à table. Mais le mari s'aperçoit
qu'il n'a pas de cordes pour lier ses pour-
ceaux, et il revient en chercher. Cette fois,
l'amoureux , surpris , n'a d'autre ressource
que de grimper au poulailler (le poulier)
et de se cacher parmi les poules ; mais le
mari l'aperçoit, et, dans la colère où cette
vue le met, il entre dans une fureur telle,
qu'il semble hors de sens. La femme pleure
et s'écrie que son pauvre mari est devenu
fou; une voisine arrive et s'informe du
cas. — « Ha ! répond le mari , jamais je ne
me serais douté que ce galant se fût au
poulailler caché pour faire pondre nos
poules. — Ha I répond la femme , n'est-ce
que cela? Je n'osais vous le dire : c'est un
pauvre homme que poursuivaient tantôt
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64
FARCE
deux quidams qui voulaient le tuer et qui
m'a suppliée en grâce de le laisser se ca-
cher là et de n'en rien dire jusqu'à ce que
les quidams fussent partis. » Le mari n'est
pas dupe de ce conte : il veut tout de bon
tuer le galant , et , pour lui faire entendre
raison , la femme , le galant et la voisine
tombent sur lui avec ensemble et le frap-
pent à qui mieux mieux, et le pauvre mari,
accablé de coups , de s'écrier :
« Mes amis , je vous crie mercy,
Au nom de Dieu et des apostres ;
Tous mes biens sont vostres.
Mon cousin à cause du bas,
Tout est à vous et haut et bas.
N'espargnez point nostre maison. »
Et le pauvre jaloux, cocu, battu et fai-
sant contre fortune bon cœur, conclut en
disant :
« Qu'il n'y a homme tant soit fin .
Et tant eut-il la tête fine ,
Que fine femme enfin n'affine. »
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FARCE DU POULIER
A QUATRE PERSONNAGES
C'est à sçavoir le Maistre, la Femme, l'Amoureux
& la Voysine.
l'amoureux commence et dit :
Est il un plus grand plaisir
Que de joyr à son plaisir
D'une dame de bonne grâce,
Au lict avec elle gésir,
Et l'accoler à son loisir,
Pendant qu'on a lieu , ou espace ?
Je croys que non et sans falace.
Par une mon cœur est ravy.
De la baiser point ne m'en lasse ,
10 En la voyant , je me solasse.
ii. 6
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FARCE
C'est la plus belle qu'onques vy !
Mais elle a un sot do mary.
De l'ostel n'eslongneroit d'un pas.
Sang bieu ! je le feray mary.
Sans luy je feroys bien mon cas ,
Sy perdre debvoys mon repas.
Je feray encore un voyage
Par devant son logis.
LE MARY
Je gaige
Que c'est l'un de nos amoureux.
20 Je ne saroys dormir pour eux.
Ils ne cessent toutes les nuits :
L'un viendra heurter à mon huys,
Puys l'aultre à mes fenestres rue ;
L'un siffle ou chante emmy la rue.
C'est pitié î Je n'ay nul repos.
Encore sy j'en tiens propos
À ma femme , elle me veult battre.
Quoy 1 fait elle, laissez les esbattre
Ce sont jeunes gens, quel raison !
30 Mais qu'a affaire la maison ,
Ma rue , ma fenestre ou ma porte ,
Ma femme , moy, qu'on leur apporte
Tels reveillements sur la nuit.
Par la mort ! cela trop me nuit.
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DU POULIER
67
Mais s'il advient qu'un je rencontre,
Je luy bailleray mal encontre ,
Me deust il couster cent escus.
Le grand deable y ayt part, aux culs !
Je dis ceux qui sont pleins de noyse ,
40 Gomme celuy de ma bourgeoise.
Mais sy j'en veux avoir raison ,
Tenir me fault en ma maison ,
Afin d'en garder le pisot.
LA FEMME
Femme qui a un mary sot
Est bien malheureuse en ce monde.
J'en ay un , que Dieu le confonde !
Sot , malotru et tant jaloux ,
Que manger le puissent les loups.
Je ne saroys avoir loysir
50 D'accomplir en rien mon plaisir.
Contemplez un peu sa manière.
LE MARY
D'où venez vous ?
LA FEMME
De là derrière ,
D'arrimer un peu mon ménage.
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FARCE
LE MARY
Par la mort bieu ! vous faictes rage
D'aller, tenez vous à l'ostel.
LA FEMME
Qui vist jamais un homme tel
Que vous? Mais quant je vous escoute,
Il semble que soyez en doubte
De moy?
LE MARY
Ah ! par ma foy, non suys.
Mais toutefoys sy je poursuys,
Et qu'en poursuyvant....
LA FEMME
Quoy?
LE MARY
Rien, rien;
Vous êtes trop femme de bien.
Mais le cul !
LA FEMME
Quoy?
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DU POULIER
69
LE MARY
Il est honneste ,
Je n'en dis mot.
LA FEMME
Estes vous beste !
Je m'ebays que n'avez honte.
LE MARY
Ma mye , sy j'ay la langue prompte
A dire quelque petit mot ,
Il n'y a icy que vous qui m'ot ,
Mais sy j'y en trouve un.
LA FEMME
Un quoy?
70 N'est point vostre esprit à requoy.
LE MARY
N'en parlons plus et nous taisons.
LA FEMME
Il me semble qu'il fut saison
De nous estorer de pourceaux;
Il nous en fault deux ou trois beaux
Pour nostre estoyrement.
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70
FARCE
LE MARY
Saint Jean ! voyre.
LA FEMME
Irez vous demain à la foire ,
Mon amy , veoir son en ayrons ?
LE MARY
Ouy, ouy, nous y aviserons.
LA FEMME
Hé ! gardez icy et j'iray.
LE MARY
80 Non feray, vertu bieu ! non feray.
J'y veulx aller moi mesme, mais...
LA FEMME
Hé ! tousjours à son entremais.
Dea , n'arez vous jamais repos ?
LE MARY
Pourquoy leur tenez vous propos ?
LA FEMME
A qui?
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DU POULIER
71
LE MARY
Je n'en parle plus, mais....
LA FEMME
Quel mais ?
LE MARY
Qu'ils n'y viennent jamais ;
Gardez-vous de les escouter.
LA FEMME
Vous voulez donc doubter
De moy ?
LE MARY
Je ne daigneroys , mais...
LA FEMME
90 Quel mais ? quel mais ?
LE MARY
Je vous promais ,
Touchez là, sy je les tenoys,
Sans espargner foyble ne fort ,
Je ruroys tant que je pourroys
Dessus. Tip , toup , tap , tu es mort.
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72
FARCE
LA FEMME
Sans confession ?
LB MARY
Droit ou tort,
Et pour tant qu'il vous en souvienne.
LA FEMME
Je garderay bien qu'il n'en vienne
Pieça céans.
LE MARY
Je vous en prye,
Se n'en voulez estre marrie :
100 Je les turoys tous sans pitié.
LA FEMME
Je ne vous cherche qu'amitié.
Tout vostre bon plaisir feray.
LE mahy
Ça donc ) de l'argent et j'iray
A la foire des pourceaux querre.
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DU POULIER
73
LA FEMME
Or, tenez et allez grand erre ,
Afin que vous revenez d'heure.
l'amoureux
Mon homme s'en va grand aleure ,
Je m'en voys visiter sa femme.
Puys qu'il est party. Bon jour, dame !
Où est ce mary ? il est en voye.
LA FEMME
Pour l'amour de vous je l'envoyé
A la foyre , mon amy doux !
Car il est de moy tant jaloux ,
Qu'il ne s'ose eslongner d'un pas.
l'amoureux
Ma doulce amye , croyez d'un cas ,
Que j'ay fait plus de mille tours
Par cy devant depuis huit jours ,
Désirant fort à vous parler ;
Mais tousjours lo voyois aller
Ou venir à l'entour de vous.
LA FEMME
Il en fait autant tous les coups ,
Tant est plien de sotte folye.
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FARCE
LE MARY
Ah vertu goy ! voicy la pluie.
Bren! et le temps estoit tout beau.
Je m'en voys quérir mon chapeau ,
D'estre mouillé seroye marry.
LA FEMME
Mon amy, voicy mon mary.
l'amoureux
Hé vertu bieu ! que ferons nous?
la femme
Mettez vous souldain à genoux ,
Icy soubz cette couverture.
l'amoureux
Voicy pour moy maie adventure;
Le deable en emport le vilain !
LA FEMME
Où retournez vous sy souldain ?
A vous amené un pourceau ?
LE MARY
Jo venoys quérir mon chapeau ,
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DU POULIER
75
Car vous voyez , le temps se brouille ;
Et puis , vous sçavez , la pluye mouille.
Je le veux porter puisqu'il pleut.
LA FEMME
Et est ce tout ce qui vous meut ?
140 Tenez , le voyla ! que d'ensongne !
LE MARY
Voycy une belle besongne ;
Que fait cy ceste couverture ?
LA FEMME
Laissez la , sotte créature.
Allez où vous devez aller.
LE MARY
Non feray, tu as beau parler,
Je la veux remettre en son lieu.
LA FEMME
Et non ferez , sire , par dieu !
On en puisse avoir froide joye.
LE MARY
Pourquoy?
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76
FARCE
LA FEMME
Je ne veux pas qu'on voye
150 En ce point vos nécessités.
LE MARY
Je congnoistray vos vérités
A ce coup cy.
LA FEMME
Estes vous y vre ?
Je prye à Dieu qu'il m'en délivre ;
Puisqu'il vous fault conter l'affaire ,
Là dessoubs sont tous mes menus.
LE MARY
Quels menus? d'où sont ils venus?
Ses menus, hau !... qu'est ce à dire?
Ses menus ! je n'en congnoys nus.
Ses menus ! voycy pour rire.
LA FEMME
460 Mais vous le fault il tant redire !
Ce sont mes menus drapelets,
Quant ils sont sales et lais ,
Encore les fault il blanchir.
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DU POULIER
77
LE MARY
Bien ! va , je te laisse vesir.
Je voys parfaire mon voyage.
LA FEMME
Hé allez ! que la maie rage
M'en puisse bien tost despecher.
Sortez dehors mon amy cher,
J'ay eu pour vous belle bezarde.
l'amoureux
170 Que le feu saint Anthoine Tarde!
Je n'en seray d'une heure asseur.
Je n'ay membre qui ne me tremble.
Que debvons nous faire, ma seur ?
LA FEMME
Il nous fault banqueter ensemble ,
C'est le meilleur, comme il me semble.
Je voys apprester le disner.
LE MARY
Ah ! voycy bon pour retourner,
Quant mes affaires je recordes ,
Je n'ay point apporté de cordes,
180 Pour mes deux pourceaux amener.
il 7
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78 FARCE
Il fault à l'hostel retourner
En quérir.
LA FEMME
Jésus , mon amy !
Voycy revenir mon mary.
La mort m'en puisse despecher.
l'amoureux
Et où me pourray je cacher?
Pleust à Dieu qu'il fust en la bière.
LA FEMME
Entrez souldain icy derrière
Et montez à nostre poulier.
l'amoureux
La fiebvre le puisse relier 1
190 II me donne bien de la peine.
LA FEMME
Mais qui est ce qui vous ramaine ?
D'aller et venir ne cessez.
LE MARY
Hé ! Jehan ! j'ay du trouble assez ,
Puisqu'il fault que je le recorde :
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DU POULIER
70
J'avoys oublié une corde ,
i Pour nostre pourceau amener.
C'est ce qui me fait retourner.
S'ils s'enfuyent je les perdroye.
, LA FEMME
On en puisse avoir maie joye.
200 Et est-ce tout ce qu'il vous fault?
J'en voye quérir une là hault.
LE MARY
Va tost.
LA FEMME
Attendez moy à l'huys.
LE MARY
A l'huys! non feray sy je puys.
A l'huys! vertu bieu ! qu'est-ce à dire?
A l'huys ! à l'huys ! voicy pour rire.
A l'huys ! hé je feray le deable.
A l'huys ! voicy pas bonne fable !
A l'huys ! vilaine ; à l'huys ! infâme.
A l'huys ! fait ma deable de femme.
210 A l'huys ! il y a quelque chose,
A l'huys! fault entrer, mais je n'ose.
Se c'est un homme de courage ,
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80
FARCE
IL m'empongnera au visage.
A l'huys! mot, je l'aray en trayson !
Attendre à Fhuys de ma maison.
A l'huys ! par le grand dieu !
Le feray mourir en ce lieu.
Voylà une trop grosse honte.
Ah 1 vertu bieu 1 voycy mon compte.
220 A l'huys I voilà un de mes gens.
A l'huys ! hé ! venez vous céans
Humer les œufs de nos guelines?
Il me fault faire bonnes mines ,
Mais que des cordes el m'apporte.
LA FEMME
Tenez, en voilà une bien forte.
C'est assez pour en lyer deux.
Hastez vous bien tost , car je veux
Nous estorer mieux qu'onques mais.
LE MARY
Jamais , jamais, jamais, jamais.
LA FEMME
230 Helas ! et qu'est-ce qui vous point ?
Ilau ! mon amy, parlez vous point ?
A vous failly à vos ames , hays ?
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DU POULIER
81
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais.
LA FEMME
Helas ! à Payde , bonnes gens ,
Mon mary est troublé de sens.
Venez tost icy, je vous prye.
LA VOISINE
Hé qu'est-ce ?
LA FEMME
Mon mary, ma mye ,
Helas ! je cuyde qu'il afoile.
LA VOISINE
Allez, allez, vous estes folle.
Voisine, ne vous tuez mye.
LA FEMME
Helas ! voisine ma mye,
Voicy un piteux entremais.
LE MARY
Jamais, jamais , jamais , jamais.
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82
FARCE
LA VOISINE
Helas ! mon voisin , mon amy,
Seignez vous. C'est quelque ennemy
Qui ne vous veult laisser en paix.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais.
LA FEMME
Helas! mon amy, bon courage!
Pour vous je feray un voyage
250 A Saint Mary, je vous promais.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais.
LA VOISINE
Ma voysine , courez bien vite ,
Allez quérir de l'eau bénite ;
Car je croy qu'il voit le mauvais.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais.
Jamais ne me fusse doubté
Qu'il se fust au poulier bouté
Pour faire pondre nos guelines.
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DU POULIER
83
LA VOISINE
Hé qu'est-ce ? il montre par signes ,
260 Nostre Dame ! hé est-ce cela?
Sus! sus! sortez, galant, de là.
Maintenant serez chaponné.
LA FEMME
Helas! il est tout estonné ,
Le povre homme , il n'y pense point;
Mais je vous veulx dire le point ,
Pourquoy en ce poulier s'est mis :
Deux gros ribaux ses ennemis ,
Le cachoyent à grans coups d'espée ,
La teste luy eussent coupée ,
270 S'il ne l'eust gaigné au courir,
Et pour le povre secourir,
Je l'ay fait entrer en ce lieu ,
Et m'a prié , au nom de Dieu ,
Que je ne l'encuse à personne.
Aussy tost est venu un homme
Le chercher son baston tout nu ,
Sy fure, que s'il l'eust tenu ,
Il l'eust tué et despeché.
LE MARY
Ah vertu bieu ! c'est trop presché.
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84 FARCE
280 Vous ne m'en ferez plus mouler.
Ça, hastez vous de dévaler,
Que je ne vous fasse descendre.
l'amoureux
Pour Dieu ! veuillez leur donc défendre
Qu'ils n'entrent: ce sont mauvais garçons.
LA. VOISINE
Encor fault-il que nous sachions
Le débat.
l'amoureux
Pour un coup d'espieu.
LE MARY
Estes vous monté de par dieu ?
Or descendez de par le deable.
Puysqu'ii fault que tant je rable ,
290 Sancti sanctorum descendez.
l'amoureux
Pour l'honneur de Dieu , attendez
Qu'ils soient bien loin de la maison.
le MARY
Hé ! vertu bieu t que de blason ,
Hé! allez faire vostre plainte.
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DU POULIER
85
l'amoureux
Non feray, je n'ay point de crainte ,
Mais que j'aye l'espée au poing ,
Je ne les doubte près ne loing t
Sang bieu 1 je leur rompray les dens
LE MARY
Ah 1 voycy mes batteurs de gens !
Je puisse être de mort oultré ,
Se maintenant n'estes chastré.
LA FEMME
Hél mon mary.
LA VOISINE
Hél mon voisin.
Helas hé 1 c'est vostre cousin ,
Bien prochain de vostre lignage.
LE MARY
Hé ! vertu bieu 1 quel cousinage !
C'est donc lignage de cul 1
Cousin, me faites vous cocu ?
Ha ! je vous feray fauverete.
Hél vertu bieu! langue safrete.
Mais quoy 1 vous le venez défendre?
T. II. 8
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FARCE
Hé ! vous avez le cul trop tendre.
De par tous les grands deables voyre.
LA VOISINE
Ça , vous avez tort , mon compère.
Pour Dieu 1 cessez ceste querelle.
LE MARY
Hé ! vous en estes maquerelle 1
De par tous les grands deables, voyre !
Vous servez pour avoir à boire ,
Vostre nez en est tout violet.
LA VOISINE
Maquerelle 1 ce mot est lait.
LE MARY
Par saint Jehan ! sy le faictes peindre.
l'amoureux
Vous avez tort , cousin.
LE MARY
Tant geindre !
Mort bieu, hé ! y revenez vous ?
LA VOISINE
On nous debvroit meurdrir de coups
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DU POULIER
De nous laisser tant ledanger.
Sus ! voisine , sans calenger ,
Qu'il me soit de coups tout noircy.
LE MARY
Mes amys , je vous crye mercy,
Au nom de Dieu et des apostres.
LA VOISINE
Que dis-tu ?
LE MARY
Tous mes biens sont vos très.
LA VOISINE
330 Suis-je telle comme tu dis ?
LE MARY
Sy j'ay rien dit, je m'en desdis,
Pour Dieu ! laissons tous ces debas.
LA FEMME
Je te mettray en paradis.
LE MARY
Sy j'ay rien dit , je m'en desdis.
Ou injures ou mauldis ,
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88
FARCE
Mon cousin à cause du bas,
Sy j'ay rien dit, je m'en desdis.
Pour Dieu ! laissons tous ces esbas.
Tout est à vous et baut et bas.
340 N'espargnez point nostre maison.
l'amoureux
Grand mercy, cousin.
LE MARY
C'est raison.
Couvrez vous , il n'y a de quoy
Dont il me fault taire tout quoy,
Pour congnoistre et venir à fin.
Il n'y a hommes tant soit fin ,
Et tant eust il la teste fine ,
Que fine femme en fin n'affine ;
Et pour oster nostre merencolye ,
349 Une chanson , je vous en prye.
FIN
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FARCE NOUVELLE
A SIX PERSONNAGES, ETC.
8
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{
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NOTICE
SUR
LA FARCE NOUVELLE
A SIX PERSONNAGES, ETC.
Cette Farce porte , comme la précédente,
le nom de Farce du Poulier. Mais le sujet
en est différent; c'est à proprement parler
celui du conte des Rémois, de La Fontaine :
môme plan, môme intrigue et môme dé-
nouement. Ici, au lieu d'un peintre, c'est
un meunier qui est le héros et deux gen-
tilshommes de campagne qui remplissent
les rôles des deux voisins. Un poulailler
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92
FARCE NOUVELLE
qui permet de voir dans le moulin , et dans
lequel les deux gentilshommes, venus pour
coucher avec la meunière, sont obligés de
se cacher, donne son nom à la Farce, qui
dépasse un peu , par son étendue, les limi-
tes ordinaires de ces sortes de pièces.
La Farce du meunier et des deux gentils-
hommes offre une certaine ressemblance
avec celle de Naudet (Bibliothèque elzévi-
rienne: Ancien Théâtre, 1. 1 , p. 250), qui,
pendant que le seigneur de son village
était couché avec sa femme, trouve moyen
d'aller coucher avec Madame, et qui, lors-
que Monsieur revient et veut se plaindre,
lui dit assez plaisamment :
Hé , il n'est pas bon d'être ensemble
Naudet et Monsieur, ce me semble.
Ce vous seroit grant deshonneur
Qu'on fit ung Naudet de Monsieur.
Quand de Naudet tiendrez le lieu ,
Naudet seroit Monsieur, par dieu.
Gardez donc vostre seigneurie
Et Naudet sa naudeterie
Se tenez Lison ma femelle,
Naudet tiendra madamoy selle.
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A SIX PERSONNAGES, ETC. 03
Ne venez plus naudetiser,
Je n'iray plus seignéuriser.
Croyez-raoy qu'il faut , mon amy,
A trompeur trompeur et demy,
C'est également la conclusion de notre
Farce, qui , par cette morale , rachetait ce
que ses détails pouvaient offrir de trop vif
à la scène.
!5R
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FARCE NOUVELLE
A SIX PERSONNAGES
C'est à sçavoir deux Gentilshommes , le Monnier,
la Monnière,
et les deux Femmes des deux Gentilshommes
habillées en damoyselles,
et est la FARCE DU POULIER
le premier GENTILHOMME commence.
Honneur, cousin 1
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Honneur aussy !
LE PREMIER
De vous voir joyeux suis icy,
Puisque santé en vous raisiné.
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1 FARCE NOUVELLE
LE DEUXIESME
Je suis sain et dru, Dieu mercy,
Et n'ay sur moy ne ça ne cy
De desplaisir à ma saisine.
LE PREMIER
Qui desplait d'aultruy, machine,
C'est bien de droit qu'il soit bany.
LE DEUXIESME
L'homme qui le mal imagine ,
40 Et en son cœur a la racine ,
Doibt estre des aultres pugny.
LE PREMIER
Vous estes tousjours bien garny
De cela que vous debvez dire.
LE DEUXIESME
Garny comme vous.
LE PREMIER
Mais, beau sire
Est-il bien à nostre mouniere ?
LE DEUXIESME
Qu'en sais je , moy !
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A SIX PERSONNAGES
97
LE PREMIER
Par quel' manière
Le pourray-je doncques sçavoir ?
Veu qu'en faictes vostre debvoir,
Car bien souvent vous y hantez
20 Entour elle et y fréquentez ,
Le soir, la nuit et le matin.
On congnoist bien vostre latin ,
Et le gibier de vostre chasse.
Mais n'avons point de peur qu'on sache
Toutes vos allées et venues.
Un delict fait dessoubz les nues,
Est sceu entendre le debvez.
LE DEUXIESME
Vrayment! cousin, vous ne sçavez
Comment vous vous ramentevoir.
30 Un chascun vous y a peu voir,
On me l'a donné à entendre ,
Et puis vous me venez reprendre ,
Moy qui ne suis en rien coupable.
Vous estes en parler muable
Et bien digne d'être repris.
Gardez que ne soyez surpris ,
La vérité seroit congneue.
T. II 9
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FARCE NOUVELLE
LE PREMIER
Autant d'escus que toute nue,
Vous l'avez tenue à vostre aise.
LE DEUXIESME
Autant d'escus qu'à la renverse
Vous l'avez sus son lict jectée !
Dea ! vostre personne jectée
Y sera , donnez vous en garde.
LE PREMIER *
Qui aura bon droit, si le garde,
N'en faisons ne noyse ne bruit.
On congnoit à l'arbre le fruit,
Et le bon vin à la liqueur.
Adieu je vous dis de bon cœur.
Un jour ferons chère plainiere.
la monniere entre en chantant.
« Oh va la mouniere ,
a Oh va , oh va la mouniere. »
LE MOUNIER
Tousjours tu trouveras manière
De chanter sans prendre soulcy.
Ma foy 1 si je faisoys ainsy,
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A SIX PERSONNAGES
99
Tout yroit sens devant derrière.
J'ay soulcy de faire et deffaire ,
J'ay soulcy d'aller et venir,
Je ne me sauroys soutenir,
Que mauldit soit la trumelierc.
60 Tousjours tu trouveras manière
De chanter sans prendre soulcy.
M'ayt dieux ! si je faisois ainsy,
Tout yroit sens devant derrière.
LA MONNIERE
Dieu ! qu'avez vous ?
LE MONNIER
Nostre matière
Se perdra, j'en ay grosse peur,
Car j'ay affaire à un trompeur,
Un soubz d'estre, un trompereau.
Plusit à Dieu que le bourreau
L'eust pendu à mon appétit.
70 II n'y a ne grand ne petit
Qui ne le congnoiase à la court.
Quant il arrive là on accourt
Vers luy, procureurs, advocas,
Et sergens et esperlucas.
Et prend argent à toutes mains.
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100
FARCE NOUVELLE
LA MONNIERE
Il faut que l'un de ces demains
Que vous et moy nous y allons ,
Et que fermement nous parlons
Aux juges et à l'assistance ,
80 Et si vostre partye me tence,
Je luy saray bien que repondre ;
Je le feray par de moy fondre
Dans la terre , fut il regent.
LE MONNIER
On ne plaide point sans argent.
Le deable emporte le procès !
Il me fera mettre en décès
Vingt ans devant mon âge deue.
LA MONNIERE
Il n'est pas dit que Ton se tue.
Vous voulez vous pendre ou défaire.
90 Nostre Dame ! laissez moy faire,
J'aray de l'argent promptement
LE MONNIER
De l'argent !
LA MONNIERE
Voyre! finement.
Il n'est finesse qu'on ne fasse.
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A SIX PERSONNAGES
101
LE MONNIER
Hé ! belle dame , que je sache
Gomme argent pourriez attraper.
Je serois tant aise de veoir
De l'argent, pour à mon cas pourveoir,
Des escus, vingt, trente ou quarante.
LA MONNIERE
Nous en aurons plus de cinquante ,
100 Aussy rouges que séraphins»
Mais il fauldroit que fussions fins ,
Et que ne disions mot de rien.
LE MONNIER
Par la mort ! je feray bien
Argent , pour le fin attraper.
En yois tu aulcuns à piper,
A ton entente ou jobelin?
LA MONNIERE
Les maistres de nostre moulin
* Sont fort amoureux de mon corps.
Si vous faignyés aller dehors ,
110 Environ vingt jours ou un mois ,
Nous aurions des escus de pois ,
En leur faisant la ruse acroyre.
il 9
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102
FARCE NOUVELLE
Et puis revenez sur vostre erre ,
Quant de l'argent serez muny.
Jamais un regnard pris au ny
Ne fust si peneux qu'ils seront.
Possible qu'ils nous donneront
De nostre moulin les louages ,
Aveques tous les arrierages
120 Que leur debvons du temps passé.
LE MONNIER
Par la mort bieu ! c'est bien pensé.
Que dois je faire pour complaire ?
LA MONNIERE
Dormez vous et me laissez faire ;
Je suis de langage pourveue.
LE PREMIER GENTILHOMME
N'auray je point une venue
De la femme de mon monnier ?
De moy n'eust pas eu un denier,
Se n'eust esté de par sa femme ,
Car son cœur le mien tant enflamme ,
130 Que j'en suis presqu'au mourir.
Voicy l'heure que secourir
Elle m'a dit qu'elle me pourra bien.
Je m'y en voye , sans craindre rien.
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A SIX PERSONNAGES
103
De tant attendre je ne puys.
A peu près de renyer suis
La loy nouvelle et l'ancienne.
Sang bieu ! si tenir la puis mienne ,
A mon désir et mon entente ,
Je la baiseray des foys trente ,
140 En faisant l'amoureux delict.
0 que la tenir sus un lict ,
Pour la ribaulder quinze jours !
Vers elle m'en voye tout le cours ,
Afin que mon enuy soit hors.
Hau ! monnyer.
LE MONNYER
Dictes que je dois
Hardiment ! il ne s'en fault guère.
LA MONNYERE
Honneur ! monsieur.
LE PREMIER GENTILHOMME
Dieu gard monniere !
Auray-je de l'argent de vous ?
LE MONNIER
L'argent est bien court en droit nous.
150 Qui cherche argent cherche débat.
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104
FARCE NOUVELLE
LA MONNYERE
Comment avez vous pris l'esbat
De venir à ceste heure icy ?
LE PREMIER GENTILHOMME
Ouy, car je suis à demy transy,
Si de vous ne suis secouru.
A peu que n'en aye encouru
La mort par le dieu de nature.
LA MONNIERE
Ce me seroit une laidure
Et une honte diffamable,
Que d'estre trouvée variable
160 Au deshonneur de mon mary.
LE PREMIER GENTILHOMME
Vous me faictes le cœur marry
Et me rendez du tout confus.
Sy vous faictes de moy refus ,
Dictes le moy, je m'en iray.
Mais par la mortl je vous feray
Du desplaisir et de l'ennuy.
LA MONNIERE
Ce ne sauroit estre aujourd'huy.
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A SIX PERSONNAGES
105
Si vous ne parlez à Lucas
Et le conseillez de son cas,
170 Honnestement en lieu secret,
On nous veult passer par décret
Nostre héritage à nous subjet.
Pour venir à la fin du jeu ,
Prester nous fault argent à force ,
Et puis après que l'on s'esforce
Faire de moy ce qu'on pourra.
LE PREMIER GENTILHOMME
Ah ! pensez qu'il ne demourera
Pas envers moy pour cent ducas.
Deboult, monnier?
LA MONNIERE
Deboult , Lucas !
180 Dormirez vous toute la journée ?
LE PREMIER GENTILHOMME
Or ça ! monnier, une fournée
D'argent ! je vous feray quictance.
LE MONNIER
Tousjours survient quelqu'un qui tence
Et se monstre mon ennemy.
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106
FARCE NOUVELLE
LA MONNIERE
Il est encore tout endormy
Et a fait un terrible somme.
Vostre monsieur le gentilhomme
Qui vient avec nous deviser,
Et s'est bien voulu amuser,
190 Dont je mercye son personnage.
Nous parlions de nostre héritage ,
Qu'on dit qui nous sera tollie.
Et il dit que vous ferez folye ,
Si vous n'y estes vertueux ,
Car pour un cent d'escus ou deux
Vous jouirez paisiblement.
LE MONNIER
Cent escus, c'est bien largement ,
Il suffiroit de quatre-vins ,
Pour payer saulces , lettres, vins ,
200 Arrierages, mises et debtes.
Par ma foy î de toutes receptes ,
Je ne sache qu'un gros qui court !
LE PREMIER GENTILHOMME
Dea î monnier, pour le faire court ,
Pour un cent d'escus d'or de pois ,
Je vous les preste.
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A SIX PERSONNAGES
107
LE MONNIER
Je vous en doibs.
LE PREMIER GENTILHOMME
C'est tout un. Vous payerez tousjours ,
Mais ne faictes pas longs séjours.
Partez moy plus tost que plus tard.
Je les avoys boutés à part ,
210 Pour cuyder un payement parfaire.
Allez ! pensez à vostre affaire ,
Et pensez tost de revenir.
LE MONNIER
Cent escus ! c'est pour subvenir
De tout mon affaire à honneur.
LE PREMIER GENTILHOMME
Adieu , monnier.
LE MONNIER
Adieu , monsieur.
LE PREMIER GENTILHOMME
Adieu , monniere.
LA MONNIERE .
Monsieur, adieu.
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108
FARCE NOUVELLE
LE PREMIER GENTILHOMME
Dictes de revenir au lieu }
Que je sois de l'heure averty.
la. monniere
Mais que le monnier soit party,
220 A. cinq heures.
LE PREMIER GENTILHOMME
Voilà le cas.
J'apporteray pour le repas
Un gros chapon avec une oye.
LA MONNIERE
Et du vin.
LE PREMIER GENTILHOMME
Pour faire la joye.
Puis nos plaisirs seront vaincus.
LE MONNIER
Ça l de par dieu , j'ay cent escus ,
Cent escus d'or ! mort bieu ! je t'ayme ;
Tu es de finesse la crayme ,
Et subtile par dessus tous.
. LA MONNIERE
Ce n'est encor rien , taisez vous ,
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A SIX PERSONNAGES
109
230 Dormez vous , faictes bonne myne ,
Je suis pour messieurs assez fine.
Mot î voyez l'aultre qui revient ,
Vous erez de moy le maintient.
Mais ne sonnez mot quoy qu'il soit.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
L'amour d'une femme déçoit
Le cœur de l'homme assez souvent.
Si fault il plus tost que le vent
Que je treuve façon d'aller
A la muniere ou au munier,
240 Qui tient mon cœur à sa saisine.
Ce n'est force que je domine
D'elle ou mourir me convient ,
Car cent mille foys me souviens
De sa convenance courtoyse.
Hau ! monnier.
LA MONNIERE
Faictes basse noyse ,
Monsieur, vostre monnyer repose.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Ah i mon tetin 1 m'amour ! ma rose !
Te tinsay-je à ma volonté.
Tant j'ay le cœur entalenté
T. II. 10
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FARCE NOUVELLE
D'accomplir ce que je veuil dire.
Où est le monnyer ?
LA MONNIERE
Il dort , sire ;
Il est un peu mal disposé.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Qu'est-ce qu'il a ?
LA MONNIERE
Il n'a osé
Le temps passé rien emprunter,
Et s'est bien laissé endetter
Nostre héritage de village,
De cent francs tout en arrierage ,
Et est de le conter honteux.
Si nous trouvions de bons prêteurs ,
Ou gens baillans argent à rente ,
Ma foy 1 tout à l'heure présente,
Nostre héritage iroit recouvrer.
Vous le voyriez par dieu troter
Comme un savatier portant cuir.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
S'il vous plaist me laisser joyr
De vostre corps , un jour sans plus ,
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A SIX PERSONNAGES
111
Je presteray six vins filipus ,
Avecques cent sols de monnoye.
LA MONNIERE
Helas ! monsieur, je n'oseroye ;
270 Comment ! vous estes marié !
LE DEUXIESMB GENTILHOMME
L'amour de vous m'a charyé ,
Et fait en cestuy lieu venir.
S'il vous plaist me laisser joyr,
A mon grand désir et entente ,
Vous aurez à l'heure présente
Six vins filipus d'or et de pois ,
Avecques un cent soûls tournois,
De monnoye que vous aurez.
LA MONNYERE
Au moins, monsieur, considérez
280 De garder l'honneur qui s'ensuit.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Mot! je n'y viendray que de nuit.
Et si ferons chère papale.
LA MONNIERE
Je l'accepte.
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112
FARCE NOUVELLE
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Ça! que je parle
Au monnier pour bailler argent.
LA MONNIERE
Pas ne sera si négligent,
S'il ne pense de son profit ,
(Haul hau! monnier), il est confit,
Geste journée cy à dormir.
LE MONNIER
Tu me fais tout le sang frémir,
290 Comme ceste cy me tempeste !
LA MONNIERE
Vous ne pouvez lever la teste.
Tant dormir ce n'est pas santé;
Voicy monsieur, qui s'est vanté ,
Et dit , pour nous faire plaisir,
De nous prester, d'un bon désir,
Six vins flipus avec cent sous ,
Afin que nous soyons resous
De l'héritage à nostre lye.
LE MONNIER
Saint Jehan ! Dieu luy doint bonne vye
300 Et le tienne en prospérité.
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A SIX PERSONNAGES
113
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Voye les là tout compté.
Pensez tost de vostre profict ;
Estimez que mon cœur ne ûst ,
Comme povez apercevoir,
Que jamais de meilleur vouloir
Ne prestay argent à ma vye
Qu'à vous deux , je vous certifye.
Quant partez vous , que je le sache ?
LA MONNIERE
Monsieur, je le tiendrons pour lâche
310 S'il ne partoit expressément.
LE MONNIER
Je partiray présentement ,
Devant qu'il soit heure et demye.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Dictes de revenir, ma mye ,
Quant pourray-je de soir vonir?
LA MONNIERE
Je pourray à vous subvenir
Entre six et sept , c'est bonne heure.
ii. 10
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FARCE NOUVELLE
LE DBUXIESME GENTILHOMME
Je n'ay pas peur que je ne meure
D'attendre si tard. Or, adieu.
Préparez la place et le lieu.
De revenir j'auray le soin.
LE MONNIER
Ça , ça, j'ay de l'or à plein poing :
Femmes sont fines à merveilles %
Quant l'homme fait grandes oreilles,
Il ne luy en peult que bien prendre.
A mon fait il me fault entendre.
Tout primo il me fault aller,
Et les laisser un peu parler
Ensemble et eux deviser.
Secundo il me fault adviser
Que de droit le guet je feray,
Le celuy que j'attraperay
Avec ma femme nu à nu,
Premier qu'il soit de moy connu ,
Je luy monstreray mon effort.
LA MONNIERE
J'aymeroys mieux estre à la mort ,
Que fissent de mon corps offense.
Mais ayez en vous la science
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A SIX PERSONNAGES
115
De subvenir bref après eulx.
Ce que je fais c'est pour le mieulx,
340 Ainsy vous le debvez entendre.
LE MONNIER
Laisse moy le fait entreprendre ,
Tout viendra bien , j'y ay pensé.
LE PREMIER GENTILHOMME
Seray-je point recompensé
Des cent escus de mon monnier ?
De moy n'eust pas eu un denier,
Se n'eust esté de par sa femme.
Car son cœur le mien tant enflamme,
Que j'en suis presque au mourir.
Voicy l'heure que secourir
350 Elle m'a dit qu'elle pourra bien ,
Je m'y en voye sans craindre rien.
De tant endurer je ne puis.
Hola ! hau !
LA MONNIERE
Qui est-ce à l'huys?
LE PREMIER GENTILHOMME
Vous ay-je failly de promesse ?
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FARCE NOUVELLE
Et tant de tels galans on sait
Qui n'en tiennent compte ne taille.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Voycy Theure qu'il fault que j'aille
Voir celle là qui m'a promis
Que seray l'un de ses amis.
C'est bien de droit que j'y compare.
Je pense moy qu'elle prépare
Son logis pour me recepvoir.
Mon sang ne se fait qu'esmouvoir,
De despit que desjà n'y suis.
Ouvrez, ouvrez!
LA MONNYERE
Qui est-ce à Thuys ?
LE PREMIER GENTILHOMME
Sang bieu ! j'ay entendu quelqu'un ;
Encor j'ay laissé mon verdun
Et ma dague pour me défendre.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Holà! holà!
LA. MONNIERE
11 faut entendre.
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A SIX PERSONNAGES
nu
LE PREMIER GENTILHOMME
Mon Dieu ! que j'ay le cœur marry !
Jo croy que c'est votre mary.
Jésus ! il m'ira publier.
LA MONNIERE
Cachez vous dedans ce poulier
400 Jusqu'à ce qu'il soit retourné.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Je n'ay pas longtemps séjourné
Après l'heure délimitée;
Que ceste bouteille boutée
Me soit en un lieu proprement.
Voylà pour faire gentiment
Le banquet pour l'amour de vous.
LA MONNIERE
Semblablement voycy pour nous ,
Banquet que j'ay tost appresté.
Est-il rien de novalité ,
410 Monsieur de la Hannetonniero ?
LE MONNIER
Monsieur de la Papillonniere
Est prochain voysin de nos poules.
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120
FARCE NOUVELLE
Hé ! pensez qu'il n'a pas les couilles
En aussy bon point comme il avoit.
LE PREMIER GENTILHOMME
Hé ! qui tous les deables sçavoit
Que monsieur de la Hannetonniere
Vint visiter nostre monniere
Comme môy ! Ah î je suis surpris ;
Une aultre foys seray appris
420 De faire mon cas plus asseur.
LE DEUXIESME
Sa vous que vous ferez, ma seur?
Je bois à vous à verre plain.
LE PREMIER
Par le saint sang bieu ! le vilain
Boit mon vin et mange mon pain ;
Encor n'en oseray parler.
Si je me mets à dévaler,
Le jeu ne te sera pas beau.
LE DEUXIESME
Allons derrière le rideau
Accomplir le jeu d'amourettes.
LA MONNIERE
430 Non , pas encor.
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A SIX PERSONNAGES
121
LE MONNIER
Hé ! je vous guetes.
Monsieur le Hannetonneur.
Vous ne venez pas par honneur
A ma maison , c'est chose seure .
LE DEUXIESME
Me secourez vous à ceste heure ?
Seray je de ma douleur hors ?
LA MONNIERE
Après souper, prenez le corps ,
Faictes en à vostre plaisir :
Mais devisons tout à loisir.
Mon cœur s'embrase en vous voyant.
LE MONNIER
440 Ah ! je n'en puis endurer tant !
J'en pers sens , mémoire et la voix.
Par la mort hieu ! je m'y en voye.
En ce lieu je ne puis plus vivre ;
Il faut contrefaire de l'ivre.
Sang bieu ! ils seront esgorgés.
Ouvrez ! ouvrez !
LA MONNIERE
Ne vous bougez ;
Qui vous fait ainsy tournyer ?
T. II 11
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122 FARCE NOUVELLE
LE DEUXIESME GENTILHOMME
J'ay entendu nostro monnier.
Jesus-Christ ! je suis diffamé.
LA MONN1ERE
450 Ah ! Jésus !
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Je l'ay reclamé.
Qu'il me préserve en ceste place.
LA MONNIERE
Lancez vous tost en ceste place.
Ilault , au poulier à nos guelines ,
Car gos pensées sont si fines ,
Qu'il vous turoit, c'est chose seure.
LE PREMIER GENTILHOMME
Vous y voylà prins à ceste heure ,
A ce poulier ainsy que moy.
LE MONNIER
Je sçay bien moy que je mettray
L'huys hors des gons si tu ne m'ouvre.
LA MONNIERE*
460 Mon Dieu l voycy une belle œuvre :
Jamais je ne vis vOstre per.
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A SIX PERSONNAGES
1Î3
LE MONNIER
Par la mort bieu ! je veux pomper.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
A Dieu ! comment nostre souper
Il sera tantost dévoré.
LE MONNIER
Or ça , mon petit con doré»
Qu'as tu accoustré à repaistre ?
LA MONNIERE
Tenez vous vous debvez congnoistre
Qu'en avons assez et de bon :
Voilà du bouilly, du jambon ,
470 Pain , vin , perdriaux et mauvis.
LE PREMIER GENTILHOMME
C'est fait ! nous voylà desservis,
A tous les deables le sou lard.
LE MONNIER
Que ce vin icy est gaillard !
Et un souper prins d'un beau zèle.
Va moy quérir mademoiselle ,
Dame de la Papillonniere.
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FARCE NOUVELLE
Qu'el vienne avec moy faire chère ,
Et qu'el ne se soucie de rien.
LA MONNIERE
Je m'y envoyé.
LE MONNIER
Mais sçays tu bien ?
Ne me cesse pas de courir.
LE PREMIER GENTILHOMME
Ce vilain me fera mourir :
C'est ma femme qu'il envoyé querre
Si jamais il est bruit de guerre ,
Je le feray bien régenter.
LE DEUXIESME» GENTILHOMME
S'il nous ot cy parlementer,
Il abaissera nostre ton.
le monnier, en chantant
Hau ! biboton , biboton , biboton ,
Encore, encore, encore, encore!
Hau ! biboton , biboton , biboton !
Encore , encore un horion !
LE PREMIER GENTILHOMME
Mais pense-t-il que on en rions ?
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A SIX PERSONNAGES
125
Il a beau chanter, si je danse,
Je n'ay point de resjouissance.
Que mauldit de Dieu soit ton ventre !
LA MONNIERE
Il ne vous desplait pas si j'entre ,
Et que je fasse à l'arrivée ,
Mademoiselle, la privée.
Lucas à vous se recommande ,
Et vous prye d'une amour grande ,
500 Que vous envenez quant à moy.
LA PREMIERE DAMOI SELLE
Et où, monniere?
LA MONNIERE
Avecques moy,
Plaisanter et mener léesse.
LA DAMOISELLE
Je n'oseroys.
LA MONNIERE
Hé 1 pourquoy est-ce?
Ah ! il n'y a point de danger,
Il vous fera bien estranger
Mélancolye si vous l'avez,
ii. 11
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126
FARCE NOUVELLE
LA DAMOISBLLE
Allons doncques , mais vous sçavez
Que longtemps je ne puis pas mettre :
Si monsieur mon mary, mon maistre ,
510 Survenoit, je seroye tencée.
LA MONNIERE
Je ne suis pas si incensée
De vous laisser faire séjour.
LA DAMOISELLE
Bonsoir, monnier.
LE MONNIER
Bonjour, bonjour,
Bien venue , ma damoiselle.
LA MONNIERE
Séez vous sur ceste selle ,
Afin que soyez à vostre aise.
LA DAMOISELLE
Grand mercy.
LA MONNIERE
Ne vous desplaise.
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A SIX PERSONNAGES
127
LA DAMOISELLE
Laissez , monnier.
LE PREMIER GENTILHOMME
Quoy ! il la baise !
Meschant ! qu'est-ce que tu feras ?
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Par la mort bieu ! tu te tairas !
Et dussions nous icy mourir.
LE MONNIER
Vien ça ! va moy encor quérir
Madame la Hannetonniere :
Qu'el vienne avec moy faire chère ,
Que je la traicte à mon vouloir.
LA PREMIERE DAMOISELLE
Hé! vous faictes plus que debvoir,
C'est trop de coust pour ceste foys.
LE MONNIER
Ma damoyselle, à vous je boys.
LA PREMIERE DAMOYSELLE
Ah ! monnier, la vostre mercy.
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128
FARCE NOUVELLE
LE PREMIER GENTILHOMME
530 De glaive ayes tu le cœur transy,
Tant tu nous fais cy chagriner
LE MONNIER
Sa vous que viens d'adeviser,
Ma damoiselle, à ceste foys?
LA PREMIERE DAMOISELLE
Hé ! quoy ? monnier.
LE MONNIER
Par sainte Croix !
Je vous vouldroys bien demander,
Si je vous vouloys embrasser,
Si vous me lesseriez point faire ?
LA PREMIERE DAMOISELLE
Déportez vous de ceste affaire ,
Car on n'oserions en ce lieu.
LE MONNIER
540 Hé ! pourquoy ?
LA PREMIERE DAMOYSELLE
C'est offenser Dieu.
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A SIX PERSONNAGES
129
LE MONNIER
Offenser Dieu ! ah ! ce n'est rien :
D'aultres que nous l'offensent bien.
Laissez moy gouster de l'amorse.
LE PREMIER GENTILHOMME
Elle fera ta maie bose !
Traistre , meschant meseau rendu.
LE DEUXIESME
Tant de foys je t'ay défendu ,
Morbieu ! que tu ne dye un mot,
Si cest yvrongne icy nous ot,
Qui est maintenant à son aise >
Il nous pourroit bien , par saint Biaise,
Faire mourir de mort infâme,
LE PREMIER GENTILHOMME
Quoy ! il le veult faire à ma femme !
LE DEUXIESME
Hé bien ! combien as-tu perdu ?
LE PREMIER
J'aymeroys mieux qu'il fust pendu.
J'avoue Dieu et Marye la belle.
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FARCE NOUVELLE
LE MONNIER
Le ferons nous, ma damoyselle,
A celle fin que soys guery ?
LA PREMIERE DAMOISELLE
N'en parlez pas à mon mary.
LE MONNIER
J'aymeroys mieux estre damné.
Allons faire le démené ,
Que je embate vostre escu.
LE PREMIER GENTILHOMME
Ah ! c'est fait ! me voylà coquu.
Quel douleur pour pauvres marys !
LE DEUXIESME
Pour un , il en fait deux maris.
LE PREMIER
Se fait mon ! que tuer le voue.
LA MONNIERE
Je m'estoye boultée à la voue
De vous venir voir, damoiselle.
Mon mary a la pensée telle ,
Qu'il vous veult à soupper donner.
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1
j
A SIX PERSONNAGES 131
j
LA DEUXIESME DAMOISELLE
570 Je ne le sauroys guerdonner
Du grand service qu'il me fait.
LA MONNIERE
Voylà qu'il m'a dit , en effet,
Que vous en venez quant et moy.
LA DEUXIESME DAMOISELLE
Vrayment très volontiers j'yroy.
Mais il sera recompensé.
LE PREMIER GENTILHOMME
Qui tous les deables eust pensé
Que ma femme eust fait cest accord,
Qu'à ce meschant vilain et ort,
Eust abandonné son maujoint.
580 Le vilain ! je l'os là où il geint,
Le pourceau ! il me fait genin.
LE MONNIER
Vous ay-je blessée ?
LA PREMIERE DAMOISELLE
Nenin , nenin.
LE PREMIER GENTILHOMME
Tu blesseras ta maie rage !
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FARCE NOUVELLE
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Savoure un petit abreuvage
Et prens patience en ton cœur.
LA PREMIERE DAMOISELLE
Au moins gardez moy mon honneur ;
Mon amy, je me fye à vous.
LA DEUXIESME DAMOISELLE
Bon soir, monnier.
LE MONNIER
Sy fais à vous.
Vous soyez la très bien venue.
Ça ! ça ! il fault faire reveue ,
Sus à nostre vin ! Je boys à vous.
LA MONNIERE
Ma damoiselle , qu'avez vous ?
Vous me semblez en desplaisance.
LA PREMIERE DAMOISELLE
Las ! il m'est prins une faillance ,
En ce lieu , je me sens mal sayne.
LE MONNIER
Il vault mieux que tu la remaine.
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A SIX PERSONNAGES
433
LA MONNIERE
Je le veux bien.
LA PREMIERE DAMOISELLE
Allons , monniere.
LE MONNIER
Ça ! madame la Hannetonniere ,
J'ay de vous veoir resjouissance.
LA DEUXIESME DAMOISELLE
600 Je suis venue en bonne chanse :
Voycy pain , vin, viandes assez.
LE MONNIER
Il y a quatre moys passés,
Que j'ay de vous traiter envye.
L A^ DAMOISELLE
Je vous remercye.
LE MONNIER
Fuseez vous mye,
Cinq jours dedans nostre moulin ,
Vos tetins aussy blancs que lin ,
Furent garsonnés sur le blé.
T. II. 12
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134
FARCE NOUVELLE
LA DAMOISELLE
Mon corps fut par vous accolé ,
Mais je ne vous laissay pas faire.
LE MONNIER
610 Sang bieu ! il ne s'en fallut guère,
Que je ne mise au perthuis,
Sans une de derrière Thuys,
J'allois mesler mes deux genoux.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Sang bieu ! il se moque de nous :
Il livre babil à la mienne !
LE PREMIER GENTILHOMME
Hé ! penses tu donc qu'il se tienne ,
Qu'il ne luy fasse comme à l'aultre ?
Que mon corps soit bouilly en peaultre
S'il luy fault ! Ah ! je le voy bien.
LE MONNIER
620 Ma damoiselle , n'espargnez rien ;
Buvez , mangez de cœur joyeux.
LA DEUXIESME DAMOISELLE
Ces monniers sont tant amoureux ,
Il n'est finesse qui n'en sorte.
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À SIX PERSONNAGES
135
LE DEUX1ESME GENTILHOMME
Hé 1 tais-toy, tais-toy, povre sotte !
Tiens-tu babil à ce badault ?
LE MONNIER
Si j'avoys veu vostre bidault ,
Je seroys guery ce me semble.
Mais pour veoir un peu s'il ressemble
A celuy de ma ménagère.
LE PREMIER GENTILHOMME
630 Mais regardez comme il s'ingère
A parler qui le veult ouir,
Pour mieulx de la femme jouir.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
C'est un meschant pour tout potage ;
J'ay tel despit et telle rage ,
Que je ne sais à qui le dire.
LE MONNIER
Dame , vous plaist-il m'esconduire ?
Seray-je remis en vigueur?
LE PREMIER GENTILHOMME
Mais ta maie cpide langueur !
Tu Tas bien fait à nos despens
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FARCE NOUVELLE
LE MONNIER
Me tiendrez vous ainsy suspens
En misère et calamité ?
LA DEUXIESME DAMOISELLE
Hé î voyre ! mais si récité
Estoit à mon mary où qui soit,
Et qu'un jour il s'en aperçoit ,
Tousjours me le reprochera.
LE MONNIER
Le deable emport qui luy dira.
LA DEUXIESME DAMOISELLE
Allons donc ! je m'y accorde.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Nostre Dame ! miséricorde !
11 tient ma femme , ce meschant !
LE PREMIER
Par dieu ! vous quitterez ce chant,
Ou j'estrangleray vostre gorge.
Il l'a fait une heure d'orloge
A la mienne et tu m'as fait taire.
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A SIX PERSONNAGES
137
LE DEUXIBSME
Hé ! il la tient.
LE PREMIER
Qu'y veux-tu faire ?
Tu sçays qu'il a le deable au corps.
LE DEUXIESME
Ah ! mes amis ! misericors ,
Il souffle et pete tout d'un trait.
Hé ! fault il que je sois contraint
De l'ouyr ainsy remuer.
LE PREMIER
660 Vous nous voulez faire tuer
A ceste heure , vous vous tairez.
LE DEUXIESME
Par la mort bieu ! vous mentirez.
LE PREMIER
Si ferez vous par la vertu.
Hé ! comment ! je me suis bien tu.
LE DEUXIESME
Au meurdre !
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FARCE NOUVELLE
LE PREMIER
A l'aide !
LE DEUXIËSME
Que feray-je ?
LE PREMIER
Tu te tairas.
LE DEUXIËSME
Plus tost mourray-je.
A l'ayde ! messieurs , je suis mort.
LE PREMIER
Pourquoy deable crye tu si fort ?
LE DEUXIËSME
Tu m'as affolé par les couilles.
LE MONNIER
Il y a quelqu'un à nos poulies.
Par la mort bieu î je m'en voye voir.
LA DEUXIËSME DAMOISELLE
Adieu , monnier.
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A SIX PERSONNAGES
139
LE MONNIER
Jusqu'au revoir.
Ma damoiselle , grands mercis.
Quelque bon jour de sens rassis ,
Nous ferons chère plus meilleure.
LA MONNIERE
Vous en allez vous à ceste heure?
LA DEUXIESME DAMOISELLE
Ouy, je me voye mettre en la voye.
LA MONNIERE
Il vault mieux que je vous convoyé
LA DAMOISELLE
Je m'en yray toute seulette.
LE MONNIER
680 Ah I il y a quelque belette
Ou beste avec ma poulaille.
Viens t'en avec moy et me baille
La palette de nostre feu.
LA MONNIERE
En avez vous eu quelque peu
D'apercevance ?
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140
FARCE NOUVELLE
LE MONNIER
Ouy, comme il semble ;
Car ils caquettent tous ensemble ;
Le fait entendu et comprins.
LE PREMIER GENTILHOMME
C'est fait de nous : nous voylà prins.
Miséricorde ! mes amis !
LE MONNIER
690 Hé ! qui tous les deables a mis
Ces galans là parmy les poulies ?
Par la mort bieu ! si je ne bredouilles
Vos testes à ceste heure icy.
LE PREMIER GENTILHOMME
Ha ! monsieur le monnier, mercy ;
Prenez pitié de nos personnes.
LA MONNIERE
Hé 1 ce sont nos deux gentilshommes,
Qui viennent céans pour gaber.
LE MONNIER
Ah ! ils me veulent desrober,
Je soustiens la querelle à point.
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A SIX PERSONNAGES
141
700 Puis que je les tiens sur ce point ,
Il vault mieux que je les esgorge.
LA MONNIERE
Et non ferez.
LE MONNIER
Vertu Saint George !
Ghascun d'eux si a trop vescu.
LE PREMIER GENTILHOMME
Vous avez cent et un escu
De moy vrayment, je les vous donne,
Et de bon cœur vous en guerdonne ,
Et que de moy ne parlez plus.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Et moy de mes six vins phibus
De ma monnaye et testons ,
710 Tout d'un accord nous submettons
Vous en quicter et descharger ;
Et vous voulez vous le denger !
Tous deux vous demandons pardon.
LE MONNIER
Me les donnez vous à pur don ?
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142
FARCE NOUVELLE
LE PREMIER GENTILHOMME
Ouy, sans jamais rien demander.
LE DEUXIESME
Ce qu'il vous plaira commander,
Nous le ferons à vostre gré.
LE MONNIER
Si direz vous bon gré mal gré ,
Combien que vous soyez fâchés ,
720 Pourquoy vous estes vous cachés
Finement avec ma poulaille ?
LE PREMIER GENTILHOMME
Crainte de vous.
LA MONNIERE
Hé 1 ne vous chaille.
LE MONNIER
Taisez vous : je les veux ouir.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Chascun de nous pensoit jouir
De vostre femme follement.
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A SIX PERSONNAGES
143
LE PREMIER GENTILHOMME
Vous avez eu bien finement
La jouissance des deux nostres.
LE MONNIER
Par monsieur saint Thibault l'apostre ,
Contre vous deux auray débat.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
730 Nous avons courroux pour esbat.
LE PREMIER GENTILHOMME
Pour joye avons melancolye
LE MONNIER
L'homme amoureux fait mainte folye.
LE DEUXIESME GENTILHOMME
Nous avons courroux pour esbat.
LE MONNIER
Vous voylà donc prins au rabat ,
Dont c'est à vous grosse folye.
LE DEUXIESME
Nous avons courroux pour esbat.
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144
FARCE NOUVELLE
LE PREMIER
Pour joye avons melancolye.
Quant amour un homme fol lye ,
Il perd savoir et contenance.
LE MONNIER
740 Je prends congé de l'assistance ,
Si peu que mon savoir contient,
Qu'à trompeur tromperye luy vient.
Et pour resjouir nos esprits ,
744 Une chanson , je vous suplye.
FIN
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t
LE RETRAICT
FARCE NOUVELLE ET FORT JOYEUSE
i
t. n
13
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y Google
eL^^ j^k. Èrfï. &a iffV. jgV £r?k Èr?k aSà i??V jy* ^gVjj
NOTICE
SUR
LA FARCE NOUVELLE ET FORT JOYEUSE
DU RETRAICT
Le sujet de cette Farce est assez analo-
gue à celui des deux précédentes. Il est
emprunté à nos anciens fabliaux.
Une femme a donné rendez-vous à son
amant. Elle est surprise par son mari en
tête-à-tête avec lui , et ne trouve d'autre
♦ressource que de le faire cacher dans le
retrait. L'amant , voulant étouffer le bruit
d'une toux importune , se prend maladroi-
tement la tète dans Vais de bois (la lunette),
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1
148 LE RETRAICT
au moment môme où le mari entre au re-
trait , conduit par un besoin pressant. L'a-
mant s'échappe en emportant à son cou la
pièce importante du retrait et en poussant
de grands cris, au profond étonnement du
mari , auquel on fait croire que c'est un
diable qui est venu pour le punir de sa
jalousie.
Le rôle comique de cette facétie est rem-
pli par le valet Guillot , jeune drôle gour-
mand , ivrogne et âpre au gain , qui pro-
fite des circonstances pour prendre de
toutes mains et exploiter tour à tour son
maître et sa maltresse. 11 y a dans ce rôle
les premiers éléments du valet fripon et
voleur de la comédie du xvn # siècle.
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FARCE NOUVELLE
ET FORT JOYEUSE
A QUATRE PERSONNAGES
C'est à sçavoir
Le Mary, la Femme, Guillot et I'Amoureux
et c'est le RETRAICT
la femme commence.
Si le mien cœur est rempli d'ire ,
Las ! à bon droit je le puis dire ,
J'ay bien raison de me complaindre
Et de mon mauvais me complaindre;
Car mon mary me tient soubz las
De grand rigueur dont n'ay soulas.
En luy n'a point de passe temps ,
Dont bien souvent mauldis le temps,
Le jour et l'heure de ma naissance.
il 13
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150 le RETRAICT
10 Pensez vous que prenne plaisance
En luy? non, non, je vous promais,
Si le serviray-je d'un mais ,
Par dieu ! dont pas il ne se double,
Car j'ay mis mon amitié toute
En un beau fils 1 voilà, je l'ayme,
Je mourray plus tost à la peine
Que je ne fasse son désir.
J'ay espoir avec lui gésir
Si mon mary s'en va aux champs.
ouillot, varlet , en chantant.
20 Hau ! les gans, bergère,
Hau ! les gans ! les gans !
LA FEMME
Par dieu , voilà de très doux chants.
Viens ça, Guiilot!
GUILLOT
Plaist-il, metresse?
LA FEMME
Tu mets mon cœur en grand détresse ,
Car tu n'es point....
GUILLOT
Je ne suis point?
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FARCE NOUVELLE
151
LA FEMME
Je ne t'ose dire le point,
Tant tu es léger du cerveau.
GUILLOT
Je ne suis pas bon maquereau ,
Est-ce pas ce que voulez dire ?
LA FEMME
30 Par mon ame ! il me fait rire ;
Ce n'est pas cela, mal autru.
guillot , en chantant.
« Turelututu tutu tutu ,
« Turelututu, chapeau pointu. »
LA FEMME
Ne chante plus , escoute moy.
guillot, en chantant.
a C'est de la rousée de moy. »
LA FEMME
Viens ça ! Guillot, es-tu tigneux?
Comment ! tu n'es point gratieux
Que ne mets la main au bonnet.
Digitized by
152
LE RETRAICT
GUILLOT
« Il fait bon aymer l'oyselet. »
40 Parlez-vous du bonnet de nuit ?
Quant je le frotte, il me cuit ;
Il tient bien fort à mon tignon.
LA FEMME
Tant tu es un bon compaignon ;
Si te pensoys sage et discret ,
Je te diroys tout mon secret;
Mais par dieu ! tu n'es qu'un lourdault.
GUILLOT
D'un baston rouge comme un fer chault,
Soyez battue toute nue.
Lourdault !
LA FEMME
Voyre ! sous la nue
50 N'a point de plus lourdault que toy.
GUILLOT
Ah ! ah ! lourdault.
LA FEMME
Escoute moy.
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FARCE NOUVELLE
153
Si parfaire veux mon désir,
Je te feray tant de plaisir,
Qu'en toy jamais n'aura default.
GUILLOT
Vous m'avez appelé lourdault;
Mais par dieu ! le mot vous cuyra.
LA FEMME
Guillot, laissons ces propos là ;
Plus ne t'en fault estre marry.
Viens ça , tu sçays que mon mary
Aujourd'huy est allé aux champs ,
Ouyr des oysillons les chants ;
Pas ne doibt ce jour revenir,
Et mon amy doibt cy venir.
Pour coucher entre mes deux bras.
Tu auras ce que tu vouldras,
Si tu veulx guetter à la porte.
GUILLOT
Guetter 1 le deable donc m'emporte !
Je guetteray en bas , en hault ,
Et vous m'appellerez gros lourdault !
Taisez vous ! c'est tout un.
LA FEMME
Guillot,
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154
LE RETRAICT
Se j'ay dit quelque mauvais mot,
Pardonne moy, je te promets,
Par la main qu'en la tienne mets,
Ne t'appelleray jamais lourdault.
GUILLOT
Par dieu ! vous listes un lourd sault ,
Quant vous me dites telle injure.
Lourdault !
LA FEMME
Guillot, par Dieu j'en jure,
Je le disois en me riant.
GUILLOT
Appelés moy plus tost friant
80 Que lourdault.
LA FEMME
Je te prye au surplus ,
Laissons cela , n'en parlons plus ;
Vray est que ce mot ay lasché.
GUILLOT
Saint n'y a qui n'en fust fasché
De leur dire si vilain nom.
Ne m'y appelez plus.
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FARCE NOUVELLE
155
LA FEMME
Non , non.
J'aymerois plus cher estre morte.
Guillot , va garder à la porte.
Veux-tu, Guillot?
GUILLOT
Hé ! pourquoy faire ?
LA FEMME
Jésus ! n'entons tu point l'affaire ,
90 Tant tu es un franc beny !
GUILLOT
Ah ! j'entens bien , c'est vostre amy
Qui doibt venir.
LA FEMME
Ouy, tu soubzris.
GUILLOT
H vous ostera bien les souris
Tantost du cul.
LA FEMME
Parle tout doulx.
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LE RETRAICT
GUILLOT
Or ça ! que me donnerez vous ?
LA FEMME
Dy moy en un mot que veux-tu ?
GUILLOT
Donnez moy un bonnet pointu ,
Puys je garderay à la porte.
LA FEMME
Tiens ! en voilà un de la sorte.
Es-tu content ?
GUILLOT
Par saint Jehan ! ouy
Jésus ! que je seray joly !
LA FEMME
Si ton maistre venoit d'avanture ,
Venant ne luy fais ouverture
Sans nous advertir.
GUILLOT
Bien , bien , bien.
Il n'y viendra ni chat ni chien.
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FARCE NOUVELLE
157
l'amoureux entre.
Fi d'avoir, qui n'a son plaisir !
Fi d'or, d'argent, fi de richesse.
Hors de mon cœur tout desplaisir.
Fi d'avoir, qui n'a son plaisir.
110 Doux passe temps je veux choisir,
Chassant de moy deuil et tristesse.
Fi d'avoir, qui n'a son plaisir !
Fi d'or, d'argent, fi de richesse.
Il fault aller voir ma metresse ,
Car c'est mon plaisir et soulas.
C'est celle qui de moy est metresse.
Fait évader.
LA FEMME
Viendra point là
Celuy en qui je me conforte !
Guillot , voys-tu rien en la porte ;
120 Ne voys tu nul icy venir ?
GUILLOT
Défendez vous , car assaillir
On vous vient par cruel effort.
l'amoureux
Holàl holà!
T. II. i4
y Google
LE RETRAICT
QUILLOT
Qui est là? vous buquez bien fort,
Quoy, que demandez vous?
l'amoureux
La dame.
OUILLOT
Monsieur, soyez sûr, par mon ame,
Que la dame n'est pas céans.
l'amoureux
Où est le maître ?
OUILLOT
Il est céans ,
Là où je prépare la cuisine ,
Avec une femme voisine.
LA FEMME
Ouvre, Guillot; hé! tu te mocque :
C'est mon amy, monsieur Lacoque.
Fais le entrer.
OUILLOT
Ouy, mais que je sache
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FARGÉ NOUVELLE
159
Qu'il ait quelque cas en besache ;
Aussy le vin pour le varlet.
LA FEMME
Va, meschant ; va, vilain varlet !
Entrez , monsieur.
GUILLOT
Quoy ! voicy rage.
Je serviray de raaquerelage ,
Et si ne seray point payé !
140 Et monsieur sera aparuyé
Avec madame sur un lict ,
Où très bien prendra son delict.
Et moy, un povre maquereau ,
Feray la grue, ainsy qu'un veau.
Non, non , je ne suys pas si beste.
l'amoureux
Ouvre.
GUILLOT
Vous me rompez la teste.
Pensez-vous que vous laisse entrer
Sans argent en main me planter ?
Ah ! non « jamais !
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160
LE RBTRAIGT
l'amoureux
Tiens, un escu.
GUILLOT
150 Saint Jehan ! voilà très bien vescu :
Je ne demandoys aultre chose.
LA FEMME
Guillot , que la porte soit close ;
Fais bien le guet.
GUILLOT
Laissez-moy faire.
Monsieur, faictes la moy bien taire,
Vous n'avez garde de la fascher.
Apportez vous point à mascher ?
Que je me sente du festin.
l'amoureux
Accolez moy, mon musequin ,
Quant je vous voys , je suis transy.
GUILLOT
160 Où est mon maistre , qu'il n'est icy ?
Mort bieu 1 comme il riroit des dents.
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FARCE NOUVELLE
161
LA FEMME
Ah ! mon Dieu ! amy, entrez dedans
Hardiment , mon mary est dehors ;
S'en est allé, ne craignez fors
Que de faire le passe temps.
Mon mary est allé aux champs ;
Aujourd'huy pas ne reviendra.
Par quoy, amy, il vous plaira
Coucher ensemble entre deux draps ,
Tous nus nous tenans par les bras ,
Voulez vous point ?
l'amoureux
Ma doulce amye ,
Vous obéir pas ne denye •
Jamais n'eus si grand faim de boire.
Baisez moi !
LA FEMME
Accolez moy !
GUILLOT
Voire !
Ferme, sanglez moy le mulet.
l'amoureux
Je suis maintenant à souhait.
il. li
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LE RETRAICT
Jamais ne fus si à mon aise ;
Venez, ma mye, que je vous baise .
Toujours serez mon doulx tetin.
GUILLOT
Tantôt aura son picotin.
Hé ventre bieu ! où est mon maistre ?
Je crois qu'il vous envoyroit pestre.
Regardez bien s'il la mordra.
l'amoureux
Nul en ce monde, tel temps n'aura,
Jamais, car j'ay tout à souhait
Ce qu'un amoureux doibt avoir.
J'ay belle amye, j'ay or, monnoye,
J'ay jeunesse, santé et joye.
GUILLOT
Il est bien vray, mais j'ay grand peur
Qu'il n'y ait tantost du malheur.
l'amoureux
Manger nous fault ceste becace ,
Ma mye, helas, que j'apporte.
GUILLOT
Puisque je suis leur maquereau ,
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FARCE NOUVELLE
163
J'en mangeray quelque morceau ;
t II n'est pas possible aultrement.
l'amoureux
Voire du don pareillement.
Or sus, ma mye, faisons grand chère ,
Chose je n'ay tant fut elle chère ,
Qu'elle ne soit du tout à vous.
200 II est ainsy, je vous avoue,
A Dieu et à la vierge Marie.
LA FEMME
Grand mercy, sire.
GUILLOT
Qu'elle est marrye
D'estre vis à vis du galant.
Or là courage, sus , ma metresse,
Sang dieu 1 vous petez bien de gresse.
l'amoureux
Je boy à vous.
LA FEMME
Non pas d'aultant.
GUILLOT
Monsieur, gardez la un petit ,
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LE RETRÀICT
Elle a l'estomac fort petit ,
Plus petit qu'une pucelle ,
Moy je vous plegeray pour elle.
Or regardez, ay-je failly,
11 est dedans et non sailly ,
Àu diable ! laissez faire à moy.
l'amoureux
Tu es bon garçon par ma foy.
LA FEMME
De boire jamais ne recule.
GUILLOT
Monsieur, si je faulx par la goulle,
Ne vous fiez jamais en beste.
Ne laissez point à faire feste ,
Je voye en la porte.
LA FEMME
Or va.
le mary commence.
Holà ! ho ! ouvrez l'huys.
GUILLOT
Qui est là?
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FARCE NOUVELLE
165
LE MARY
Ouvrez. Le deable vous emporte.
GUILLOT
Ce deable abasti a la porte.
Par la mort ! vous attendrez.
LE MARY
Ouvrez, de par le deable, ouvrez.
Ouvriras tu, meschant folastre?
GUILLOT
Attendez, je n'ay pas haste.
LE MARY
Par Nostre Dame d'Orléans !
230 Si je puis entrer dedans ,
Les os je te rompray de coups.
GUILLOT
Adieu ! garde la queue des loups ,
Mais pensez vous qu'il est mauvais.
LE MARY
Ouvriras tu, méchant punays ?
Par la mort ! je te tueray.
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166
LE RBTRAICT
OUILLOT
Dy moy ton nom, puis j'ouvriray.
Pense-tu que je soys beste?
LE MARY
Gomment ! tu ne congnois pas ton maistre ?
OUILLOT
Vrayment vos blés sont bien saclés.
240 Mon maistre, je voys quérir les clés.
Ma metresse, voycy mon maistre.
l'amoureux
Vray Dieu ! où me pourray-je mettre !
Je suis perdu, je suis pery,
Puisque voycy vostre mary.
Conseillez moy que je doy faire.
Jamais ne fus en tel affaire.
Helas ! ma mye, voicy ma fin !
OUILLOT
Tantost arez du ravelin ,
Quatre ou cinq grans coups tout d'un traict.
LA FEMME
250 Tost mettez vous en ce retraict,
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FARCE NOUVELLE
167
Mon amy, ne vous soulciez.
Si d'avanture vous toussiez,
Boutez la teste dans le pertuys.
LE MARY
Hé puis ! hô ! ouvriras tu l'huys?
l'amoureux
Voicy pour moy piteux delict.
Si me mettoys dessous le lict ,
Ce seroit le meilleur, ma mye.
la femme
Helas ! ne vous y mettez mye ,
Car si dessoubz le lict visoit ,
260 Et là caché vous advisoit ,
Mourir nous feroit langoureux.
guillot
Sus ! au retraict ; sus, amoureux ,
Car je voys ouvrir la porte.
Encor j'ay peur qu'il ne me frotte.
Mais devant que céans il entre ,
Ce vin je mettray à mon ventre.
l'amoureux
Helas, Guillot!.
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168
LE RETRAICT
GUILLQT
Monsieur, qu'on se cache.
Metresse, osiez moy la becache ,
Si est-ce que j'auray cecy.
LB MARY
270 Ah ! Nostre Dame ! quest cecy ?
De crier je me romps la voix i
GUILLOT
Holà ! mon maistre ! j'y voye.
Entrez, soyez le bien venu.
Vous est il nul mal advenu ,
Depuis le temps que ne vous vismes ?
LE MARY
Je vous rompray les eschines.
Me faites vous rompre la teste?
GUILLOT
Vous puissiez avoir maie feste ,
Rompu vous m'avez le cerveau.
LE MARY
280 Dictes moi quelque cas nouveau.
Où est ma femme?
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FARCE NOUVELLE
169
LA FBMME
Ah 1 mon mary 1
Bien voys qu'estes marry.
Le méchant ne vous a payé ?
LE MARY
Non.
LA FEMME
Ne s est il point essayé
De vous faire quelque raison ?
LE MARY
Raison ! par ma foy, ma mye, non,
Car trouvé ne Pay au logis.
Onques puis que le logis
Ne l'ay veu.
LA FEMME
Vierge Marie!
Je ne fus jamais si marrye.
A tous les deables soyent les meschans
Qui trompent ainsy les marchans,
Les gens d'honneur et gens de bien.
T. II 15
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170
LE RETRAICT
LE MARY
Et de nouveau, hé, a t-il rien ,
Que dit on de bon?
LA FEMME
Tout va bien.
GUILLOT
Tout va bien puisque la nappe.
LA FEMME
Il faudra bien que je te happe.
GUILLOT
Mon maistre, voicy la nappe myse ,
Ils ont bien levé la chemise.
LE MARY
300 Qui,Guillot?
GUILLOT
Qui? ma foy, personne.
LA FEMME
. Guillot, que mot on ne sonne .
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FARCE NOUVELLE
171
GUILLOT
Qui, moy ? si feray, par mon ame,
Que me donnerez vous, madame.
Si je n'en diray rien ?
LA FEMME
Guillot,
Voilà pour toy, ne sonne mot.
GUILLOT
Voycy ce que je demandoys.
Hé ! que l'amoureux hait, je croys,
D'estro si long temps au retraict.
LA FEMME
Tays toy, auras tu tant de plet ?
Et puys , mon mary , comme est-ce
Qu'il vous a joué de finesse
Ce meschant malhureux homme?
GUILLOT
11 vouldroit bien estre à Rome,
Vostre amoureux dont n'ose dire.
LA FEMME
J'ay le mien cœur tout remply d'ire,
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172
LE RETRAICT
De ce sot qui rompt nos propos.
H s'en estoit allé dehors,
Ce meschant?
LE MARY
Ouy pour vray,
C'est un meschant luron prouvé.
320 Je suis fort las, j'ay tant trotté !
GU1LLOT
Helas ! povre amoureux crotté,
Tu es bien en grand soulcy !
LE MARY
Amoureux, dea ! qu'est cecy ?
A-t-il un amoureux céans ?
LA FEMME
Ah ! Nostre Dame d'Orléans \
Prenez vous garde à ce qu'il dit ?
LE MARY
Je puisse estre de Dieu mauldit ,
Si je n'en sçay la vérité.
Viens, qui t'a incité
330 De parler d'un amoureux?
Je ne seray jamais joyeux
Jusques à ce que le sauray.
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FARCE NOUVELLE
173
GUILLOT
Que je Taye dit, il n'est pas vray,
Jamais n'en parlis, mon maistre.
LE MARY
Vertu bieu ! que pense cy estre ,
Je l'ay ouy de mes oreilles.
LA FEMME
Mon mary , je m'émerveille,
Que prenez garde à ce lourdault.
LE MARY
Je Pay ouy, il disoit tout hault.
340 Viens ça, malhureux, qu'as tu dit ?
GUILLOT
Rien ou je soys de Dieu mauldit.
LE MARY
Rien ! hé de quoi parlois tu doncques ?
GUILLOT
Escoutez que je vous compte.
Je parlois de la haquenée
Qui a esté bien chevauchée,
D'un aultre bien mieux que de vous.
h. 15
y Google
174
LE RETRAICT
LE MARY
Je prie à Dieu que les maulx loups
Te puisse le gosier ronger.
Ce fol ne fait que songer.
350 Laissez cela. Avez vous rien
A menger ? je mengeroy bien,
Je n'ay mengé puis que partis.
GUILLOT
Quoy ! voulez vous d'une perdris?
Baillez moy sans plus enquérir,
De l'argent, je l'iray quérir.
LE MARY
Tiens, voilà cinq sous .
GUILLOT
Voyla la beste.
Ah mortbieu ! je leur en baille ,
Je prens argent à toutes mains.
Voycy pour moy, c'est pour le moins.
360 Je le mettray dedans ma bourse.
Mon maistre, grand chère qu'on se course,
Voyez la perdris que j'apporte.
LE MARY
Où l'as tu prise ?
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FARCE NOUVELLE
175
h> GUILLOT
Gy en la porte.
LE MARY
La portoit il toute rostye ?
GUILLOT
Ouy et avecques la rostye ,
Que vous voyez icy dessoubz.
LE MARY
w
Combien couste elle?
GUILLOT
Cinq sous,
LE MARY
Sus! sus! mengeons, qu'on s'esjouisse.
Comment ! qu'est devenue la cuisse ?
LA FEMME
370 Par Nostre Dame ! je ne sçay.
LE MARY
Qu'en as tu fait?
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LE RETRAICT
OUILLOT
Je l'ai laissée
Tomber, puis le chat Ta mengée.
LE MARY
L'aurois tu point bien vendengée?
Tu as esté, par Dieu ! le chat.
LA FEMME
C'est pour la peine de l'achat.
Cela luy a fait un grand bien.
GUILLOT
Si mengée l'ay, je n'en sçay rien,
Plus ne m'en souvient, par la mort !
LE MARY
Mengez, ma femme, tiens Guillot ;
Mors, puis après nous verse à boire.
OUILLOT
Buvez donc tout plain le voyre.
Puis après je vous plegeray.
Attendez, je commenceray.
Je boys à vous tous deux ensemble,
Et puis mon maistre que vous en semble?
Ay je failly?
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FARCE NOUVELLE
177
LE MARY
Ah ! par dieu , non.
LA FEMME
Guillot est un bon compaignon.
GUILLOT
A bien siffler ne faulx jamais.
l'amoureux
Je suis servy d'un piteux mais ;
390 Helas ! je ne sauroys issir.
le MARY
Qu'est ce là que j'oye toussir?
GUILLOT
Que c'est ! c'est vostre haquenée
Qui a la toux.
LE MARY
Dieu y ait part !
LA FEMME
Mon amy t vous nous gasterez,
Je vous prye, quant vous tpussirez,
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LE RETRAICT
Afin qu'on ne vous oye en effet ,
Mettez la teste dans le retrait.
l'amoureux
Voycy des mots fort rigoureux.
Helas ! fault il qu'un amoureux
Mette la teste en si ort lieu.
Hé ! qu'est cecy ? helas, vray dieu
Las je ne puys avoir ma teste,
Voycy pour moy dure tempeste ,
Et oultre plus la puanteur,
Helas ! me fait faillir le cœur ;
J'ay le visage plein d'ordure.
GUILLOT
Endure, povre amoureux, endure ,
Parlez plus bas, de par le deable !
l'amoureux
Voycy un cas fort pitoyable !
Fault il que je meure icy ?
GUILLOT
Par la chair bieu ! il a vessy.
Au moins ça ne sent guère bon ;
Et vous faisiez du compaignon
Nagueres avec ma metresse.
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FARCE NOUVELLE
179
LE MARY
Guillot !
QUILLOT
Qu'est ce?
LE MARY
Si grand détresse
M'est venu empongner si fort ,
Au petit ventre, que nul confort
Trouver ne puis ; il fault d'un trait
M'aller esbattre à mon retrait,
Afin que mon mal s'amollie.
GUILLOT
Et moy un peu fault que je pisse,
Et je vous tiendray compaignîe.
LE MARY
Helas, le ventre !
GUILLOT
Hé 1 la vessie !
LE MARY
Je croys que tu fais de la beste.
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180
LE RETRAICT
l'amoureux
Las ! ils me chiront sur la teste.
LE MARY
Hél qu'est cecy I las, je suis mort.
l'amoureux
Brou ! ha! haï
GUILLOT
Hé ! fuyons fort ;
Gardez bien qu'il ne vous emporte.
la femme
Ah ! Nostre Dame ! je suis morte.
l'amoureux
430 Je vous porteray en enfer
Avec le maistre Lucifer,
Lequel vous rompra la teste.
GUILLOT
Hé I apportez de l'eau benoiste :
Aspergez me Domine.
Mon maistre, vous estes damné ,
L'amoureux deable vous vient quérir !
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FARCE NOUVELLE 181
LE MARY
Hé! doux Dieu.
l'amoureux
Et de courir !
De la grand peur ils sont fuys.
LA FEMME
De courir hors d'alaine suis.
GUILLOT
Et moy aussy.
LE MARY
Ah ! Nostre Dame !
En vostre garde prenez mon ame.
GUILLOT
Et moy la mienne. Où est il allé?
Je crois qu'il soit redevalé
Là bas au grand infernal.
LA FEMME
Qu'il m'a fait de peur et de mal.
LE MARY
Hé! doux Dieu ! que pourroit-ce estre?
t. n 16
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182
LE RETRAICT
GUILLOT
Ah ! je sçay bien que c'est, mon maistre.
LE MARY
Hé! quoy?
GUILLOT
Au deable les jaloux.
Qui vous eust etrenné tretoux ,
450 En enfer, ce n'eust esté moy.
Escoutez la raison pourquoy :
C'est que tantost par cas diffame ,
Avez esté vers vostre femme
Jaloux, sans cause ni raison ,
Et n'eust esté mon oraison ,
Le deable des jaloux emporté
Vous eust là bas et transporté.
Or ne soyez jamais jaloux.
Mettez vous donc à deux genoux ,
460 Criez mercy à vostre espouse.
LE MARY
La fielvre cartaine m'espouse,
Si jamais je suis jaloux.
GUILLOT
Mettez, mettez vous à genoux.
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FARCE NOUVELLE
183
LE MARY
Je prye Dieu que ravissans loups
M'estranglent se plus je marmouse.
GUILLOT
Mettez vous donc à deux genoux ,
Criez mercy à vostre espouse .
LE MARY
Me voylà.
GUILLOT
Sus , que Ton ne bouge ;
Ne luy criez vous pas mercy?
LE MARY
470 Ouy et me mets à mercy,
Du tout à elle m'abandonne.
GUILLOT
Pardonnez luy !
LA FEMME
Je lui pardonne.
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184
LE RETRAIGT
GUILLOT
Voylà vescu honnestement ;
Vous luy pardonnez ?
LA FEMME
Ouy vrayment.
OUILLOT
Or sus, mon maistre, levez vous :
Vous ne serez jamais jaloux ,
Or non ?
LE MARY
Que je soys donc bany.
GUILLOT
Voyla un bon jehan de Lagny ;
Mort bieu ! il en a bien d'une.
l'amoureux
480 J'ai eschappé belle fortune,
Sans la finesse, j'estoys mort.
Ce n'est pas tout que d'estre fort;
Mais c'est le tout pour abréger,
Quant l'on est en quelque danger ,
Trouver fault manyere et stylle ,
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FARCE NOUVELLE
185
D'en eschapper et estre abyllc,
En évitant la mort et blasme.
Messieurs, de peur qu'on ne nous blâme,
Disons au partir de ce lieu ,
490 Une chanson pour dire adieu.
FIN
16
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FARCE
DES
TROIS COMMÈRES ET UN VENDEUR DE LIVRES
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NOTICE
SUR
LA FARCE DES TROIS COMMÈRES
ET UN VENDEUR DE LIVRES
La Farce du Vendeur de Livres est fort
intéressante pour l'histoire littéraire du
xvi e siècle. C'est évidemment une critique
assez violente dirigée contre la littérature
nouvelle, qui tendait à se substituer à celle
du Roman de la Rose et des œuvres allégo-
riques, qui commençaient à passer de
mode. Les femmes blâment les auteurs qui
écrivent des pièces légères où la morale
n'est pas plus respectée que la langue.
Parmi les ouvrages dont le vendeur crie les
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190 FARCE DES TROIS COMMÈRES
titres, il y en a beaucoup, en effet, qui
n'ont pas une grande valeur littéraire;
mais comme ils sont devenus rares, ils sont
fort recherchés des amateurs. D'ailleurs,
ils nous apprennent toujours quelques par-
ticularités sur les mœurs, les usages, les
habitudes de nos ancêtres, et à ce point de
vue. ils méritent d'être conservés. Nous
avons imprimé deux versions différentes
de cette farce, parce qu'indépendamment
des variantes qu'on y pourra remarquer,
nous avons pensé que le lecteur pourrait,
en les comparant, saisir quelques-uns des
procédés qu'employaient les auteurs des
xv* et xvr siècles pour construire ces œu-
vres légères. On voit que, sur un même
thème, chacun mettait les broderies qui lui
convenaient. Ici, on supprimait un per-
sonnage ; là, on en ajoutait un autre ; mais
le fond, les idées et quelquefois les vers
étaient toujours les mêmes.
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FARCE JOYEUSE
A TROIS PERSONNAGES
C'est à sçavoir un Vendeur de livres
et deux Femmes.
l'homme commence.
Livres, livres, livres, livres !
Chansons, balades et rondeaux !
J'en porte à plus de cent livres.
Livres, livres, livres, livres !
Venez tost que je vous en livres,
Jamais n'en vistes de si beaux.
Livres, livres, livres, livres !
Chansons, balades et rondeaux !
La farce Jenin aux fiscaux !
10 Le testament maistre Mymin !
Et maistre Pierre Patelin ,
ii. 18
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210
FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES
Et les cent nouvelles nouvelles,
Pour dames et pour damoiselles
Qui ayment à passer le temps.
LA PREMIÈRE FEMME
Ma commère !
LA DEUXIESME FEMME
Je vous attens !
LA PREMIERE
He qu'est ce que j'ay ouy crier?
LA DEUXIESME
Ce sont les gens, qui toujours
Quelque chose de nouveau porte.
LA PREMIERE
Laissons lay crier à la porte,
20 Puis s'il a rien qui nous duict ,
Nous irons pour nostre deduict
L'acheter.
LA DEUXIESME
Vous dictes très bien .
l'homme
. L'estat de ceulx qui ne font rien ,
Et le gouvernement des nouriches.
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ET DE DEUX FEMMES
211
LÀ PREMIÈRE
Voila des traictés beaux et riches,
De quoy n'ouys jamais parler.
LA DEUXIESME
Il le fault laisser estaller,
Puis on prendrons ce qui nous fault.
l'homme
Le trespassement saint Bidault,
30 La vie sainte Perenelle ,
La chanson de la Peronelle ,
La vye Monsieur saint Françoys,
Le confiteor des Angloys,
Le trepassement de la Rayne
Avec la gesine de Saine,
Et l'obstination des Souyches.
LA PREMIERE
Pardon ! voulentiers je les visses,
Et me dust il couster mes niques.
LA DEUXIESME
Aussy fissay-je par mes niques ,
40 Ma commère, parlons à luy.
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212 FARCE D 5 UN VENDEUR DE LIVRES
l'homme
Et puis seray-je icy meshuy
A crier, sans mes livres vendre ?
LA PREMIERE
Nous le faisons beaucoup attendre,
Ma commère.
LA DEUXIESME
Ce faisons mon ! vraymys.
l'homme
La propriété des rubis,
Avec la nature des pierres,
Le devis des mers et des terres,
Avecques le dit des pays .
LA PREMIERE
Pardon ! nous sommes esbays
50 D'ouyr tant de nouvelles choses .
A-vous le roman de la rose?
l'homme
Ouy, madame.
LA PREMIERE
Monstrez le nous.
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ET DE DEUX FEMMES
213
l'homme
Il est enfermé tout dessoubz,
Pas ne Ferez si promptement.
LA DEUXIESME
Monstrez nous le trepassement
De quelque bon saint glorieux.
l'homme
Madame, je feray bien mieulx,
Vous erez la mort saint Bidault.
LA PREMIERE
Fi , fi , ostez, il ne nous fault
60 A lire que Vita patrum.
l'homme
Je l'ay laissé pour le patron
D'imprimerie, à l'imprimeur .
LA DEUXIESME
Quels livres a-vous donc» seigneur,
Plaisans à lire ?
l'homme
J'ay la farce
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214 FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES
Des femmes qui ont la langue arse,
Quant ils blasonnent leurs marys.
LA PREMIERE
Monstrez les regrets des marys,
Si vous les avez, ils sont beaux.
l'homme •
Je n'ay que livres tous nouveaux ;
70 Composés tout nouvellement.
LA. DEUXIESME
Monstrez nous le Vieil Testament ,
Gomme la prophétie de Balam ,
Le sacrifice d'Abraham ,
Le jugement de Salomon .
l'homme
He ! vous les arez au sermon ,
Que Ton fera tout ce karesme.
LA PREMIERE
He ! venez ça! c'est tout de mesme.
Et les beaux dits des saints ,
Les a- vous point entre vos mains ?
80 Les portez vous point imprimés ?
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ET DE DEUX FEMMES
215
l'homme
Nennin ! mais j'ay les dits rimés
De mariage, qui se plaint ,
De ce qu'il y a coquu maint ,
Qui sait que sa femme le fait.
LA DEUXIESME
Fy ! fy ! ostez, cela est infect.
Et on fait des facteurs nouveaux ,
Qui ne savent non plus que veaux,
Et ne saroyent trouver matière,
De rimer selon leur manière ,
90 Si ne blasonnent nos estas .
LA PREMIERE
Vous dictes vray, j'en says un tas
Qui ne savent lettre ne prose,
Et parlent de métamorfose,
D'arismetique et théologie,
Et si n'en virent jamais livre.
l'homme
Dame ! vous savez qu'il fault vivre,
Ainsy qu'on peult.
LA DEUXIESME
Mais justement ,
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216 FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES
Ne parlant d'aultruy nullement ,
Et vous voyez ces cocardeaux ,
100 Qui font balades, chansons, rondeaux,
Tant dissolus et tant diffamés,
Que n'en déplaise aux bonnes femmes, .
Et gens de bien .
LA PREMIERE
Et non sans cause,
Ils ne saroyent faire une glause,
Que de paillardise ou d'ordure,
Et n'y a pié ne mesure,
Setille, ne bon art , ne vaine.
l'homme
Voyez la gesine de Saine,
Est el pas bien faicte et rimée ?
LA DEUXIESME
110 He I qui deable Ta imprimée,
Il n'y a rime ne raison.
l'homme
Voicy la farce Jehan Loyson ,
Et le testament Pierre maistre .
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ET DE DEUX FEMMES
217
LA PREMIERE
Oh ! nous n'en voulons rien congnoislre,
Car il n'y a passe temps nul.
l'homme
Les ceulx qui ont le feu au cul ,
Vocy la farce !
LA DEUXIESME
Paix ! vilain .
l'homme
Je vous la vens avant la main ,
Et la chanson du petit chien.
LA PREMIERE
120 He ! tu says bien qu'el ne vault rien ,
Et qu'elle est orde et infecte.
Que mauldit soit il qui l'a faicte >
Ainsy au deshonneur des dames.
l'homme
Voicy le roman de ces femmes,
Qui sont deulx ou trois jours perdus ,
Et semblent à voir qu'ils soyent fondus
Et sont en quelque lieu en mue ,
T. II. 19
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218
FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES
Où que souvent on leur remue,
Le derrière, aussy le devant .
LA DEUXIESME
130 Nous ne voulons point ce roman .
l'homme
Quoy donc ?
LA PREMIERE
La vie saincte Agnès.
l'homme
Dame ! voicy l'acte des Jehannes,
Qui font plaisir à leur metresse,
Sans que personne le congnoisse,
Tandis que leur maistre est dehors.
LA DEUXIESME
Par le grand Dieu misericors !
Tu ne vaulx rien qu'à dire mal.
l'homme
Voulez vous point le doctrinal
Des chamberières, ou mequines,
140 Qui vont cheux d'aucunes voisines,
Faignant aller à la fontaine,
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ET DE DEUX FEMMES
219
Et sont perdus une semaine,
Ou trois, ou quatre nuits du moins?
LA PREMIERE
Tant il est d'hommes vilains,
Et deshonnestes de leur bouche !
l'homme
Vouecy à ce papier sans reproche,
De ceulx qui se vont estaller
A Nostre Dame pour parler,
A quelqu'un , ou qui baille signe,
450 Le jour, l'heure, ou qui détermine
De se trouver au lieu prédit.
LA DBUXIESME
Tu es un homme bien maudit !
l'homme
Tenez ! voilà le contredit
De la chamberière et du prestre.
LA PREMIERE
0 nous n'en voulons rien congnoistre !
LA DEUXIESME
Says tu qu'y a ? Va hors de cest estre,
y Google
FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES
Ou Ton te fera bien vyder.
Commelht, on te deust lapider,
Et ceulx qui parlent mal d'aultruy.
l'homme
160 Madame î Vouecy à ce papier flestry,
L'est a t de cest enfant soubs âge ,
Qui baille à son hoste un gage
Pour plus la moitié qu'il ne vault.
LA PREMIERE
Faux bagoulard ! faictes un sault.
l'homme
De Luc et Noc le bel assault ,
De Tournay le dépucelage !
LA DEUXIESME
Faux bagoulard ! faictes un sault ,
Ou vous viendrez tost au partage.
l'homme
Des coups la daine et le dimage.
170 Les femmes qui ont le filet !
Ceulx qui renouvellent leur lect !
LA PREMIERE
Te tairas tu?
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et de deux femmes 221
l'homme
Les malcontentes !
LA DEUXIESME
Iray-jeàtoy?
l'homme
Les fieux et rentes
Des filles nouvelles rendus !
La farce des nouveaux ponus !
Et le depuceleur de nouriches !
' LA PREMIERE
Ma commère, nous sommes fiches
De l'empoigner.
LA DEUXIESME
Ce sommes, mon !
Prenons le sans plus de sermon ,
L'une à cheveux l'autre à la gorge.
l'homme
Hé I qu'est ce icy, vertu saint George !
J'aray icy beaucoup à faire,
ii. 19
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FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES
LA PREMIERE
Hé ! ça ! ça ! l'on vous fera taire,
Puis qu'on vous tient. Atout ! atout !
l'homme
0 va deboult ! deboult !
Dieu gard du mal la chenille !
LA DEUXIESME
Vous en arez des coups cent mille,
Faux bagoulard , si vous dictes rien.
l'homme
« Maudit soit le petit chien ,
190 « Qui abouaye, abouaye, abouaye,
« Qui abouaye, et ne voit rien. »
LA PREMIERE
Sus, à genoux et qu'on le bede !
l'homme
Ne luy boutez point s'il n'est rede.
LA PREMIERE
Encor chante et tousjours caqueté !
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ET DE DEUX FEMMES
S23
l'homme
a Trou du cul perette !
« Choquez des talons ,
« Ghucez la pignete,
« Vydez les galons ! »
Le trespassement des nonains !
Le blason du marché aux fesses !
LA DÈUXIESME
Nous n'en sarions estre metresses
Ma commère, nous perdons temps.
LA PREMIERE
On ne saroit tenir les gens
De parler et les faire taire.
l'homme
Mais me feriez vous bien taire !
Non , non, pour or ni argent.
Prenez en gré le passe temps.
Et au partir de ce lieu ,
Une chanson pour dire adieu.
FIN
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FARCE
DU COUSTURIER & SON VARLET
DEUX JEUNES FILLES ET UNE VIEILLE
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NOTICE
SUR LA
FARCE DU COUSTURIER & SON VARLET
DEUX JEUNES FILLES ET UNE VIEILLE
Un couturier se plaint de la mode du
temps présent, qui fait que Ton met aux
habits
Si peu de drap, en bonne foy ,
Qu'on n'en sauroit grumer un doy,
Pour refaire un talon de chausse.
Tandis qu'il s'admire dans ses œuvres et
qu'il déclare :
Qu'il n'est soubz la machine ronde
Cousturier qni ouvrage mieux
En habits que luy .
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228
FARCE
Il se présente un badin, un mauvais plai-
sant, qui ne sait faire œuvre de ses dix
doigts et qui veut se louer comme valet à
tout faire. Le couturier l'accueille, et au
môme instant, entrent trois femmes qui
viennent se faire habiller et veulent être
servies en même temps. Elles crient, tem-
pêtent et interpellent le couturier, occupé
à se quereller et à se battre avec son valet,
qui se moque dé lui. Le pauvre homme
ne sait à laquelle entendre. Il en résulte
un dialogue fort salé, alimenté par les plai-
santeries grivoises que suggèrent au badin
les fonctions de deux hommes qui pren-
nent mesure de robes et basquines à trois
femmes.
On trouve dans le recueil de farces, pu-
blié dans la Bibliothèque Elzévirienne, une
autre farce d'un couturier, que Ton peut
approcher de celle-ci, quoiqu'elle soit très-
différente. On y voit figurer un couturier
et son valet nommé Ysopet. Celui-ci est un
jeune gaillard fort éveillé; une chambrière
donne au couturier une perdrix rôtie pour
l'engager à faire plus promptement sa
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A CINQ PERSONNAGES
229
robe, et elle le prie d'en réserver une part
pour Ysopet. C'est bien inutile, répond le
couturier, Ysopet déteste le gibier; et il
garde la perdrix pour lui tout seul.
Ysopet, quand il apprend la chose, jure
de se venger, et il y parvient en faisant
passer son maître pour fou et en le faisant
rosser d'importance .
20
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FARCE
A CINQ PERSONNAGES
c'est à sçavoir
LE COUSTURIER & SON VARLET
DEUX JEUNES FILLES & UNE VIEILLE
le gousturier commence.
Est- il soubz la machine ronde
Cousturier qui ouvrage mieux
En habits que moy? Je me fonde
Qu'il n'en est nul dessoubz les cieux.
Je fais tant aux jeunes qu'aux vieux,
Prestres, laïques, femmes, mequines,
Et filles, habits à basquines,
Foys collés, robes et pourpoincts,
Et si subtilement je guigne,
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232 FARCE
10 A bien souvent remplir mes poincts.
Autre foys ay-jo fait sans points,
Sans pièce et sans cousture, habit
Qui ne me faisoit grand labis.
J'en sortissoys honnestement ;
Et si Dieu sait certainement,
Gomme j'y faisoys ma bannière
Grande, planturesse et plainiere,
Selon l'habit que pou voit estre.
Mais ce jour d'huy on y fait mettre
20 Si peu de drap en bonne foy,
Qu'on n'en sauroit grumer un doy,
Pour refaire un talon de chausse.
LA VIEILLE COMMÈRE
Hau I ma commère.
LA DEUXIESME COMMERE
Je me chaulse.
Que vous fault-ii à ce matin ?
LA VIEILLE
Faites-vous saulpiquet ou saulce ?
Hau ! ma commère.
LA DEUXIESME COMMERE
Je me chaulse !
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A CINQ PERSONNAGES
LA VIEILLE
Si fault qu'une foys vous deschausse,
Au feu mettrai vostre patin.
Hé I ma commère.
LA DEUXIESME
Je me chaulse.
Que vous fault-il à ce matin ?
LA VIEILLE
Il m'est prins à mon advertin,
Si quelque un avec moy s'escote,
De faire tailler une cotte.
Me veux-tu tenir compaignie,
Ma commère?
LA DEUXIESME COMMÈRE
Dieu vous bénie.
Ouy vrayment, et marcher devant.
LA VIEILLE
Or allons puis qu'avons bon vent.
Appelez vostre chamberière,
Gillette, es-tu point là derrière ?
LA CHAMBERIERE
Ouy, ouy, metresse.
ii. 20
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234
FARCE
LA DEUXIESME COMMERE
Viens, viens t'en !
Et t'estrique assez gentiment,
Je te veux de bref marier.
LA CHAMBERIERE
Je ne me fais point harier.
Allons là où il vous plaira,
Preste je suis.
LE BADIN
« Je ne say qui l'aura, l'aura,
« C'est en la croche des conars,
« Il y aura force regnars
« Prins cest esté à la voilée. »
50 Par Dieu ! j'ay la teste affollée.
Trouver quelque maistre il me fault.
Je fais moy en trois pas un sault.
Colin c'est assez devisé .
Mais n'ai-je pas là' ad visé
Un compaignon ? Ah ! c'est mon homme.
A luy je voye parler en somme.
Dieu gard, maistre !
LE COUSTURIER
Honneur .
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A CINQ PERSONNAGES
LE BADIN
Et puis ?
LE GOU8TURIER
A vous affaire à ma boutique?
LE BADIN
Comme se nomme la pratique ?
LE COUSTURIER
60 J'ay servy les rois et les princes,
Mais quand il falloit que je prinse
Mesure, ah ! vous debvez savoir
Que je ne les vouloys que voir.
Etoit-ce besoigné , compaing ?
LE BADIN
Il vous falloit faire le baing,
Vrayment, vous l'avez bien gaigné,
Devant que je soys enseigné.
Mais dictes-moy de quel mestier
Vous vous meslez : de savatier,
70 Maçon, menuisier, charpentier ?
Ce sont tous mestiers de mesure.
LE COUSTURIER
Rien n'en diray je vous asseure,
Tant que vous m'ayez dit le vostre.
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236
FARCE
LE BADIN
Aussy vray que la patenostre,
Desclarer vous veuii mon affaire .
Stilé suis à tous mestiers faire,
Et plusieurs autres .
LE GOUSTUR1ER
C'est assez.
Ains que nos propos soyent passés!
Vous voulez vous louer à moy ?
LE BADIN
80 Hé ! ouy vrayment .
LE GOUSTUR1ER
En bonne foy,
Quans escus voulez- vous gaigner?
LE BADIN
Hé ! vous me verrez besongner,
Puis après nous ferons du prix .
LE GOUSTURIER
Vous estes homme bien appris.
Gousturier suis à la pouldrete,
Besongner il fault.
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A CINQ PERSONNAG
237
LE BADIN
Bien me haicte î
Arimé me voyla tantost.
LA VIEILLE
Hé ! commère.
LA JEUNE
Cheminons tost,
Trop long temps avons séjourné.
LA GHAMBERIERE
90 Mon maistre aura tantost disné,
Gardons bien d'estre avissées dame.
Dieu gard cousturier !
LE COUSTURIER
Honneur, dame !
Gomme vous portez-vous?
LA VIEILLE
Très bien .
LE COUSTURIER
J'en suis joyeux.
LE BADIN
Ah ! bonne femme.
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238
FARCE
LA JEUNE
Dieu gard cousturier !
LE COUSTURIER
Honneur, dame !
LE BADIN
Chascun de nous de corps vous ame,
Entrez icy, ne craignez rien.
LA CHAMBERIERE
Dieu gard cousturier !
LE COUSTURIER
Honneur, dame !
LE BADIN
Comment vous portez-vous?
LA CHAMBERIERE
Très bien.
LE COUSTURIBR
100 A vous affaire de mon bien?
Commandez tout ce qu'il vous plaist
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A CINQ PERSONNAGES
239
LE BADIN
Ils l'amuseront de leur plait;
Maistre, vous gastez la besongne .
LE GOUSTURIER
Paix ! valet, que point on ne hongne,
Vous n'estes pas encor stillé.
LE BADIN
Il y aura bien babillé,
Premier qu'ils partent hors d'icy.
LE GOUSTURIER
lia I vous me donnez grand soulcy,
Varlet, vous vous ferez charger.
LE BADIN
110 Pour vous il y auroit danger,
Que ne me missiez en deffense .
LE GOUSTURIER
A qui parlez-vous quand j'y pense?
Vous pensez- vous de moy railler ?
Sang bieu ! vous vous ferez bailler
De l'aune et bastre de mesure .
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FARCE
LE BADIN
Vous n'oseriez, je vous asseure,
Je ne suis pas à vous loué .
Venez-y, beau sire.
LE COUSTURIER
Avoué
Vous m'avez, corps de mon Dieu !
Vous semble-t>-il que ce soit jeu?
Meschant, vous gaignerezau pié.
le badin s'enfuit.
Par Dieu 1 quant j'ay bien espié,
Je croy que battre me vouldroit.
Quel maistre ! mieux fuir vauldroit,
Que se trouver dessoubz sa main .
LA VIEILLE
Seray-je icy jusqu'à demain?
Despecbez-moy .
LA JEUNE
Et moy?
LA CHAMBERIERE
Et moy
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A CINQ PERSONNAGES
241
LE COUSTURIER
Quoy ! despecher tous trois ensemble .
LE BADIN
Ils vous mettront en grand esmoy .
LA GHAMBERIERE
130 Despechez-moy ?
LA JEUNE
Et moy?
LA VIEILLE
Et moy?
LE COUSTURIER
Hé ! qu'est-ce icy ?
LE BADIN
En bonne foy,
Maistre, la peau du cul vous tremble.
LA VIEILLE
Despechez-moy *
LA JEUNE
Et moy?
T. II. 21
y Google
242
FARCE
LA GHAMBBRIERE
Et moy?
LE GOUSTURIER
Quoy ! despecher tous trois ensemble?
LA VIEILLE
Cousturier, comme il me semble,
Premier me debvez despecber.
LA JEUNE ET LA. GHAMBERIERE ENSEMBLE
Mais moy , cousturier ?
LE COUSTURIER
Tant prescherl
Le deable vous puisse enlever.
LA GHAMBERIERE
Si me faictes le poing lever,
1 40 Je vous casseray le museau .
LE COUSTURIER
Non ferez !
LE BADIN
Eh I bastez ce veau,
Qu'il soit vanné à double vont.
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A CINQ PERSONNAGES 243
LE COUSTURIER
Or ça ! laquelle Va devant?
LES TROIS ENSEMBLE
Moy!
LE COUSTURIER
En mal an puissiez entrer.
Si me fauit ma folye monstrer,
Toutes trois je vous housseray .
LA CHAMBER1ERE
Vous, vilain ! par Dieu , je sauray
Si pour moy vous seriez trop fort. •
LA JEUNE
Et moy !
LA VIEILLE
Et moy !
LE COUSTURIER
Ah ! je suis mort 1
Hé! holà! je suis affolé.
LE BADIN
Hé ! la, la, qu'il soit bien roullé,
Qu'il ait la teste amollyée.
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FARCE
LA VIEILLE
Cuydez-vous ma force lyée,
Pour tant se je suis ancienne ?
LE COUSTURIER
Helas î monseigneur saint Estienne,
Delivrez-moy de ce tourment.
Ah ! Jésus, Maria !
le badin, en frappant.
Hé ! vrayment,
Il en a assez, ma commère.
Maistre, servez la bonne mère
La première, et puis l'autre après.
Et je serviray par exprès
Geste chamberiere joyeuse .
Allons ! viens-t-en, mon amoureuse,
Veulx-tu que ta mesure prengne?
LA CHAMBERIERE
Je veux qu'en la façon d'Espaigne,
Me fassiez une verte cote,
Que le corps viengne. . .
LE BADIN
Sus la mote
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A CINQ PERSONNAGES
Je voye mettre du jartier à point.
Comment mon maistre a esté oingt.
Maistre, avez-vous les coups compté ?
N'allez point à la vicomté
Demander le poids de leurs mains,
Bien le sçavez.
LE COUSTUHIER
C'est pour le moins,
Toujours les perdans sont moqués.
LA VIEILLE
Gardez bien que vous n'aboquiez
Vos doigts à mon drap, cousturier.
Or commençons.
le coDSTURiER , en mesurant.
Ça ! tout premier.
Vous les voulez à la vasquine ?
LA VIEILLE
Ouy dea!
LE BADIN
Et toy, à la turquine,
Depuis les rains jusque au colet?
ii. 21
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246
FARCE
LA GHAMBERIERE
Ah ! que mauldit soit le valet,
Tousjours se moquera de moy !
LE GOUSTURIER
Ma dame, je suis en esmoy,
Si nous le fendrons par devant.
LA JEUNE
Hé ! ouy, ouy, que Dieu vous avant,
C'est le mieux comme il m'est advis.
LE BADIN
Veux-tu le tien au pontlevis?
Descousu jusque auprès du ventre.
Tout ainsy?
LA GHAMBERIERE
Qu'en mal an tu entre,
1 90 Ta parolle est par trop vilaine .
LE BADIN
Le corps est joignant de l'aine,
Et la pointe sur le margault.
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A CINQ PERSONNAGES 24?
LE COUSTDRIER
Or ça ! mesurer fault le bault,
Vostre croissée est assez grande .
LA JEUNE
Ah ! c'est une chose gallande,
Faites-moy la manche poupine.
LA CHAMBERIERE
Fais le mien à la marlotine,
Badin, tu auras un escu.
LE BADIN
Depuis le talon jusqu'au cul,
J'entens toujours bien la manière.
Et sus ! dressez-vous, chamberiere,
Que je prenne un peu mes longuesses ;
Ils ont bien sept quartiers de fesses,
Ces grosses garces mamelues .
Quant quelques povres trupelus
Leur font faire la tournebouelle,
Ils cherchent toute leur mouelle,
La substance ils ne faillent pas .
La pointe sera-t-elle assez bas,
Là en droit?
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FARCE
LA GHAMBERIERE
Ah qu'il est friant !
Toujours fait quelque cas riant ;
Encor plus longue la demande
LE BADIN »
Vertu bieu !
LE GOUSTURIER
Je vous fais demande,
De velours la voulez bordée?
LA VIEILLE
Ainsy vous l'ay-je commandée,
Nous en avons tout d'achept'é.
LA JEUNE
Ne me faites pas lascheté,
Serclez moy la mienne par bas.
LE GOUSTURIER
Je le veux bien.
LE BADIN
Mais par esbas,
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A CINQ PERSONNAGES
249
220 Voulez-vous bien que je vous sangle
Le ventre?
LA CHAMBERIERE
Je veux le corps sanglé
Et que la pointe serre fort.
LE BADIN
Je veux mourir de laide mort,
Si le cas ne vient de mesure .
Dressez-vous droit que je mesure
La grandeur du bas un petit ?
LA CHAMBERIERE
Hé! hé!
LE BADIN
Vous me faites apetit,
Me faisant dresser la palette.
Mais laissez-moy prendre, fillette,
230 Un peu ma mesure à loisir.
LA CHAMBERIERE
Trop me faites de déplaisir,
De me toucher en cet endroit .
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250
FARCE
LE BADIN
Si faut-il que vous teniez droit.
Hault les bras !
LA GHAMBERIERE
Là.
LE BADIN
Dea! c'est cela.
Je suis bien joyeux, car voilà
Ma mesure toute parfaite.
LA CHAMBERIERE
Or que ma besongne soit faite
Demain au matin .
LE BADIN
Bien!
LA GHAMBERIERE
Adieu .
LE BADIN
Saint Jeban, j'esviteray le lieu.
240 Au moins le drap me demoura.
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A CINQ PERSONNAGES 251
Après moy âme ne courra.
Autant ay-je icy qu'à Paris
LA JEUNE
Avez- vous fait?
LE GOUSTURIER
Mais que j'aye pris
Un petit des bras la longueur.
C'est fait, Madame .
LA VIEILLE
Qu'en bonheur
Puisse estre le cas achevé.
LE COUSTURIER
Or demain après le Salve,
Apportez du bon pour asouer.
LA JEUNE
Adieu, cousturier.
LE COUSTURIER
Le bon souer.
Je nren voys commencer à coultre.
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FARCE
LE BADIN
Dessus l'estably s'en va souer .
Adieu, cousturier.
LE COUSTURIER
Le bon souer.
LA VIEILLE
Nous vous viendrons demain revoir,
Mais gardez que ne passions oultre.
TOUTES ENSEMBLE
Adieu, cousturier.
LE COUSTURIER
Le bon souer.
Je m'en voys commencer à coultre .
LE BADIN
Dictes, ne faictes pas descoultre
Vos habits. Donnez la chanson .
LA CHAMBERIERE
Hé ! tu es assez bon garçon,
Point tu ne seras escondmt .
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A CINQ PERSONNAGES
LA VIEILLE
Or commençons, puisqu'il a dit.
En prenant congé de ce lieu,
Chantons, amys, pour dire adieu.
FIN
T. II
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22
Google
FARCE
DU VIEIL AMOUREUX ET DU JEUNE AMOUREUX
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Google
NOTICE
SUR
LA FARCE DU VIEIL AMOUREUX
ET DU JEUNE AMOUREUX
Cette farce est, à proprement parler, ce
que, dans le langage du temps, on appe-
lait un débat. Le débat du jeune et du
vieil, c'est-à-dire un dialogue entre un
jeune et un vieil amoureux. Le jeune est
gai et expose les raisons de sa gatté ; il ne
cesse de répéter que la vie est douce et
l'amour agréable. Le vieux n'est pas de cet
avis, a Les temps sont durs, dit-il. et Pa-
mourne sourit qu'à ceux qui ont la bourse
h. n
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258
FARCE
pleine. » L'un dit : Je chante, et Pautre : Je
crie , hélas ! Le jeune fait constamment
l'éloge des femmes; le vieil n'en saurait
dire trop de mal.
Il en est ainsi dans la vie : nous ne
louons les choses qu'autant qu'elles con-
viennent à notre âge, à nos goûts ou à
nos idées.
§3R
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FARCE
A» DEUX PERSONNAGES
DU VIEIL AMOUREUX
ET
DU JEUNE AMOUREUX
le vieil commence en chantant.
1 Vray Dieu, qu'amoureux ont de peine !
Par Dieu ! j'aymasse mieux la mort.
Sur moy n'y a ne nerf ne veine,
Qui ne se sente de remort.
Ainsy amour amoureux mort,
Mortellement mourant au monde,
Comme moy qui vault quasy mort
Pour avoir mené vye immunde,
Et chassé chasteté très munde ,
\ 0 En prenant mortelle habitude,
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FARCE
Avec honneur qui l'homme esmunde,
De sancté et de rectitude.
Pour plaisir, j'ay solicitude,
Pour soulas, désolation,
Pour chagrin, toute amaritude,
Pour gloire, malédiction,
Desplaisir pour mundanité,
Voilà la rétribution
D'amours et la méchanceté .
20 Fol amour cause iniquité,
Honte, reproche, vilennye.
Fol amour en captivité
Rend un chacun .
LE JEUNE AMOUREUX
Je le vous nye,
Damours vient plaisance infinye,
Passe temps, soulas et plaisir .
LE VIEIL AMOUREUX
Mais qu'on ayt la bourse garnye,
On a des dames à choisir.
LE JEUNE
Dames prennent plus leur plaisir
A plaisanter et dire bien .
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A DEUX PERSONNAGES
261
30 En amours n'y a si non bien,
Nul mal n'y a qui ne luy pense.
LE VIEIL
Pour faire la grosse despense,
Amours veut toujours qu'on apporte
Chaine, bague de mainte sorte,
Ou point ne se contentera.
LE JEUNE
Tais-toy, car avant que je sorte
Ton mauvais blason te cuira .
le vieil chante.
Jamais amoureux bien n'aura.
LE JEUNE
Sy aura.
LE VIEIL
En quelle manière ?
LE JEUNE
40 Nuit et jour se resjouyra .
LE VIEIL
Quant de ses amours jouyra,
D'or luy fauldra une minière .
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FARCE
LE JEUNE
Voyre! si c'est une routière
Qui rencontre quelque bemy ;
Mais dame de cœur bien entière,
Ne voit pas celuy à demy
Pour qui el chante à voix plenière :
« Le jour que je voy mon amy. »
LE VIEIL
J'en ay tant deuil et tant d'ennuy.
LE JEUNE
J'en ay tant plaisir et soulas.
le vieil
J'en cloche.
LE JEUNE
Et j'en suis resjouy,
Tout regaillardy.
LE VIEIL
Et moi las.
LE JEUNE*
Je chante.
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A DEUX PERSONNAGES
263
LE VIEIL
Et je crye hélas !
Caché dedans un reculet.
LE JEUNE
Suis-je gay ! suis-je gentillet !
LE VIEIL
Suis-je pensif et douloureux !
LE JEUNE
Ah ! je suis un enfant de let!
LE VIEIL
Et moy un pauvre souffreteux,
Pale, défiait, maigre, piteux,
GO Qui ne me puis plus soutenir.
LE JEUNE
Veux-tu ce blason soutenir
D'amours?
LE vieil
Je n'en puys pas bien dire,
Car il m'a fait tel devenir.
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264
FARCE
LE JEUNE
Si tu t'y feusses sceu conduyre,
Il t'eust fait florir et reluyre,
Repestre en repos et gésir.
LE VIEIL
Il m'a fait par une destruyre,
Dont j'ay fait ce chant à loisir.
(12 chante.)
Las de mon triste desplaisir,
70 A vous, belle, je me complains.
Vous m'y traictez mai mon désir,
Sy très avant que je m'en plains.
Entre vos mains.
Par mons, par plains,
Sans nul confort,
Dont sur ma foy,
Comme je voy,
Vous avez tort.
Maint homme en est croche et tout tort
80 Dénué de bien et santé.
LE JEUNE
Maint homme en est gaillard et fort,
Possédant des biens à planté.
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A DEUX PERSONNAGES
LE VIEIL
Maint homme en est bien suplantê.
LE JEUNE
Chacun doibt en amours hommage,
Car de luy vient force et beaulté .
LE VIEIL
Mais deuil, desplaisir et dommage.
Dido, la royne de Carthage,
S'occit par follement aymer ;
Ëleander s'en mit en nage,
90 Tant qu'il fut noyé en la mer.
LE JEUNE
Qui doibt les sots amans blâmer,
Qui ne sçavent que vault amour,
Et les sages vont estimer,
Qui d'aymer ont congneu le tour.
LE VIEIL
Ne voys-tu point de jour en jour
Comme plusieurs en sont gastés?
LE JEUNE
Ah! ils ont fait trop long séjour
T. II. 23
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266
FARCE
Avec les filles assotés,
S'ils eussent congneu les bontés
1 00 Des sages femmes et honnestes,
Pas ne fussent si mal traictés,
Si vilains, ne si deshonnestes.
LE VIEIL
Femmes nous font bestes,
Et rompre les testes,
Par cris et tempestes,
Et tousjours sont prestes,
Nous estre nuysantes.
LE JEUNE
Femmes sont segrettes,
En amour discrètes,
110 Doulces, mignonnettes,
Et tant bien parlantes.
Ils sont avenantes,
Gleres et reluysantes,
Trop plus suffisantes,
Que nous bien disantes
Et plus agréables.
LE VIEIL
S'ils sont élégantes,
Ils sont arrogantes,
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A DEUX PERSONNAGES
267
Et si sont plaisantes,
Mal sont profitables
120 Et trop variables.
LE JEUNE
Ils sont amiables .
LE VIEIL
Ils sont tous les deables.
LE JEUNE
Ils sont secourables .
LE VIEIL
Mais desraisonnables ,
Et trop hault montés.
LE JEUNE
Or ça l qui nous a élevés,
Nourris petits, alimentés,
Neteyés, lavés et frottés,
130 Tenus nets de corps et d'âmes?
Respons.
LE VIEIL
Hé ! sont esté les femmes.
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2f)K
FARCE
LE JEUNE
Or ça, qui nous a aletés,
Donné le papin, les totés,
Et de doulces dragées les drames ?
Respons.
LE VIEIL
Hé ! sont esté les femmes.
LE JBUNE
Amour rend l'homme tout gaillard,
Et si fait sage le paillard,
Le sot sage, et le vieil honneste.
LE VIEIL
Jamais amour n'entra en teste
149 De vilain, je le congnoys bien.
LE JEUNE
Tais-toy donc.
LE VIEIL
Je ne dis plus rien.
LE JEUNE
Et conclus .
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A DEUX PERSONNAGES 269
LE VIEIL
Que c'est le moyen
De paix, de grâce et de concorde,
De mariage le moyen,
L'ennemy de noyse et discorde !
Par luy avons miséricorde
De Dieu et sa mère Marye.
LE JEUNE
Il est certain, je me recorde,
Par amour l'homme se marye.
LE VIEIL
Par amour mainte compaignie
S'assemble à faire bonne chère.
Icy fais fin de ma matière,
Et me rends du tout en amours.
Combien qu'amour m'a esté chère,
J'en ay porté mille doulours,
Je m'en voys passer mes courroux,
En prenant congé de ce lieu,
En vous disant à tous adieu.
FIN
u. 23
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FARCE JOYEUSE
DU MEUNIER
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v^}
NOTICE
FARCE JOYEUSE DU MEUNIER
dont le Diable emporte l'âme en enfer.
En 1496, les notables de Seurre, petite
ville du département de la Côte-d'Or ,
parmi lesquels figuraient messire Oudot
Gobillon, vicaire de l'église de Saint-Mar-
tin de Seurre, honorables personnes Au-
bert du Puy, Pierre l'Oiseleur, Pierre Gril-
lot, Georges Cazote, Pierre Gramelle, dit
Belleville , Bourgeois, et maître Pierre
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274
FARCE JOYEUSE
Massoyer, recteur des écoles dudit Seurre ,
s'accordèrent avec maître Andrieu de la
Vigne, natif de la Rochelle et facteur du
roy, pour faire et composer un registre où
serait couchée et déclarée par personnages,
la vie de Monseigneur saint Martin, patron
du lieu, afin d'en donner une représenta-
tion, et qu'en la voyant représenter, le
peuple pût entendre et comprendre com-
ment le noble patron de Seurre avait, de
son vivant, vécu saintement et dignement.
Les préparatifs de ce mystère qui , pour
être joué, ne demandait pas moins de
trois journées, traînèrent beaucoup en
longueur. Le jour de la représentation fut
remis plusieurs fois, tantôt, dit le procès-
verbal auquel nous empruntons ces faits,
à cause des gens d'armes qui passaient et
des bruits de guerre qui arrivaient de tous
côtés, tantôt parce que l'époque de la mois-
son étant venue, chacun était retenu par
les travaux des champs. Enfin , l'époque
ayant été définitivement fixée, une foule
considérable accourut de tous les villages
voisins pour assister à ce grand spectacle ;
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DU MEUNIER
275
mais on avait compté sans la pluie , qui
tomba dès le matin avec une telle abon-
dance, qu'on aurait dit que les cataractes
du ciel étaient ouvertes ; impossible môme
d'achever les préparatifs nécessaires à la
mise en scène, qui devaient se faire au mi-
lieu d'un grand parc. — Cependant, sur les
trois heures du soir, la pluie cessa et le
maire ordonna que , pour donner quelque
satisfaction à la foule, accourue de loin,
on irait jouer une farce sur le parc. Cette
farce fut celle du Meunier et de la Meu-
nière, qui fut si bien jouée, que chacun
s'en contentit entièrement.
Cette pièce ne se distingue pas par un
mérite littéraire de premier ordre. L'esprit
qu'on y déploie est peut-être un peu tri-
vial ; mais elle est fort intéressante au point
de vue de l'étude des mœurs à la fin du
xv* siècle. N'oublions pas qu'elle était jouée
sur l'initiative du clergé, du moins que des
prêtres figuraient à la tête de l'entreprise,
et que, représentée devant des paysans,
cette violente satire contre les meuniers
devait avoir un très-grand succès.
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276 FARCE JOYEUSE
Cette farce n'a été imprimée qu'une fois,
en 1831 , par M. F.Michel, et tirée à un petit
nombre d'exemplaires.
f5R
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FARCE JOYEUSE
DU MEUNIER
dont le Diable emporte l'âme en enfer
et est à trois personnages
LE MEUNIER , LA MEUNIERE, LE CURÉ ET LES DIABLES
le m un ier , couché en un lit comme malade.
Or, suis-je en piteux desconfort,
Par maladie grieve et dure,
Car espoir je n'ai de confort
Au grand mal que mon cueur endure.
LA FEMME
Fault-il pour un peu de froidure
Tant de fatras mettre dessus !
t. ii. 24
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•278
FARCE JOYEUSE
LE MUNIE R
J'ay moult grand peur, si le froid dure
Qu'aulcuns en seront trop deceus.
Ah ! les rains.
LA FEMME
Sus, de par Dieu, sus !
10 Que plus grand mal ne vous coppie.
LE MUNIER
Femme, pour me mettre au dessus,
Baillez-moy. . .
LA FEMME
Quoy?
LE MUNIER
La gourde pie,
Car mort de si très-près me suie,
Que je vaux moins que trépassé.
LA FEMME
Mais qu'ayez tousjours la roupie
Au nez.
LE MUNIER
C'est bien compassé,
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DU MEUNIER
279
Avant que j'aye au moins passé
Le pas, pour Dieu ! donnez m'à boire.
Ah Dieu ! le ventre.
LA FEMME
Hé! voire! voire!
20 J'ay un très-gracieux douaire,
De vostre corps quant bien j'y pense.
LE M UN 1ER
Le cueur me fault.
LA FEMME
Bien le doy croire .
LE MUNIER
Mort suis pour toute recompense,
Si je ne reforme ma panse
De vendange délicieuse.
Ne me plaignez point la dépense,
Femme, soyez-moy gracieuse
LA FEMME
Estre vous doibz malicieuse,
A tout le moins ceste journée,
30 Car vie trop mal gracieuse,
M'avez en tout temps démenée.
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2S0
FARCE JOYEUSE
LE MUNIER
Femme ne sçay de mère née,
Qui soit plus aise que vous estes.
LA FEMME
Je suis bien la mal assenée,
Car nuit ne jour rien ne me faictes.
LE MUNIER
Aux jours ouvriers et jours de festes,
Je fays tout ce que vous voulez,
Et tant de petits tours.
LA FEMME
Parfaictes.
LE MUNIER
Haaa !
LA FEMME
Dites tout.
LE MUNIER
Vous voilez.
40 Vous venez ci. . .
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DU MEUNIER
281
LA FEMME
Quoy?
LE MUNIER
Vous allez
Puis chez Gaultier, puis chez Martin,
L'un gauldissez, l'autre gallez,
Aultant de soir que de matin.
Pensez que dans mon advertin,
Les quinze joyes n'en ay mye.
LA FEMME
L'avez vous-dit, vilain mastin !
Vous en aurez.
(Elle fait semblant de le battre.
LE MUNIER
Dictes, ma mye,
Au nom de la Vierge Marie,
Maintenant ne me battez point.
la femme (Elle le bat.)
50 Tenez ! tenez !
LE MUNIER
Qui se marie
n. 24
y Google
1 FARCE JOYEUSE
Pour avoir un tel contrepoint.
Je ne sçay robe ne pourpoint,
Qui tantost n'en fust décousu.
(Il pleure.)
LA FEMME
Cela vous vient trop bien à point.
LE MUNIER
Ah ! c'est le bon temps qu'avez eu,
Et le bien.
LA FEMME
Gomment?
LE MUNIER
Ho ! Jésus !
Que gagnez- vous à me ferir?
LA FEMME
Il en est taillé et cousu.
LE MUNIER
Vous me voulez faire mourir ;
60 Mais si je puis un coup guérir,
Mort bieu ! je fe
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DU MEUNIER
283
LÀ FEMME
Vous grongnez.
Encore faictes.
LE MUNIER
Requérir
Mains joinctes vous veulx.
la femme (Elle le frappe.)
Empoignez
Geste prune.
LE MUNIER
Or besongnez,
Puis que vous l'avez entrepris.
LA. FEMME
Par la croix bieu ! si vous fougnez !
LE MUNIER
Ah ! povre munier, tu es pris,
Et trop à tes dépens repris.
Que bon gré saint Pierre de Romme.
LA FEMME
Vous m'avez le mestier appris
A mes despens, mais. . . .
y Google
FARCE JOYEUSE
LE MUNIER
En somme,
De grand despit vecy ung homme
Mort pour toute solution.
LA FEMME
Je n'en donne pas une pomme.
LE MUNIER
En l'honneur de la Passion,
Je demande confession
Pour mourir catholiquement.
LA FEMME
Mais plustost la potation,
Tandis qu'avez bon sentiment.
LE MUNIER
Vous vous mocquez, par mon serment,
Quand mes douleurs seront esteinctes,
Se par vous vois à dampnement,
A Dieu je feray mes complaintes.
LE CURÉ
11 y a des sepmaines maintes
Que je ne vis nostre muniere,
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DU MEUNIER
285
Pour ce, je m'en vois aux actainctes
La trouver.
LE MUN1ER
Coustumiere,
A ces te extrémité dernière,
Estes trop.
LA. FEMME
Qu'est-ce que tu dis?
LE M UN 1ER
90 Je conteray vostre manière,
Mais que je soye en paradis.
Avoir tous les membres roidis,
Estre gisant sur une couche,
Et battre un homme 1 je mauldis
(Il pleure.)
L'heure que jamais bonne bouche.
LA FEMME
Fault-il qu'encore je vous touche?
Qu'est cecy? faictes-vous la beste?
LE MUNIER
Laissez m'en paix, trop fine mouche
Estes pour moy.
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286
FARCE JOYEUSE
LA FEMME
Ho ! qui barbette?
100 Qui gronde? qui ? qu'est cecy ? qu'est ce?
Comment, serai-je point maitresse
Que meshuy plus ung mot je n'oye.
LE CURE
Madame, Dieu vous doingt liesse,
Et planté d'escus vous envoyé !
LA FEMME
Bien venu soyez-vous, j'avoye
Vouloir de vous aller quérir,
Et maintenant partir debvoye.
LE CURÉ
Pourquoy ?
LA FEMME
Pour ce que mourir
Veult mon mary, dont j'en ay joye.
LE CURÉ
110 II fauldra bien qu'on se rejoye,
S'ainsy est.
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DU MEUNIER
287
LA FEMME
Chose toute seure.
A son cas fault que l'on pourvoye,
Sagement sans longue demeure.
LE MUNIER
Helas ! hé ! fault-il que je meure,
Hon, non, hon, ainsy meschamment.
(Il pleure.)
LA FEMME
Jamais il ne vivra une heure,
Regardez.
LE CURÉ
Ah ! par mon serment !
Est-il vray ! A Dieu vous commant,
Munier, hah ! il est despeché.
LA FEMME
120 Curé, nous vivrons gayement,
S'il peut estre en terre perché.
LE CURÉ
Trop long temps vous a empesché.
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•288
FARCE JOYEUSE
LA FEMME
Je n'y eusse peu contredire.
LE M UNIE R
Que mauldit de Dieu sans péché,
Toutefoys le puyssé je dire,
Soit la pu ... .
LA FEMME
Qu'est-ce cy à dire
Comment hé 1 qu'à vous je revoise.
LE CURÉ
Gauldir fauldra.
LA FEMME
Chanler.
LE CURÉ
Et rire.
LA FEMME
Vous me verrez bonne galloise.
LE CURÉ
130 Et moy gallois.
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DU MEUNIER
289
LA FEMME
Sans bruit.
LE CURÉ
Sans noyse.
LA FEMME
Des tours ferons un million.
LE CURÉ
De nuit et de jour.
LE MUNIBR
QueJ bourgeoise !
T'en as bien, povre munier.
LA FEMME
Hon!
LE MUNIER
Robin a trouvé Marion,
Marion toujours Robin treuve,
Helas ! pourquoy se marie-on !
LA FEMME
Je feray faire robe neuve,
t. ii 25
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290
FARCE JOYEUSE
Si la mort un petit s'espreuve
A le me mettre d'une part.
LE CURÉ
140 Garde n'a que de là se meuve,
Ne que plus en face départ,
Ma mye.
(R V embrasse.)
LE MUNIBR
Le deable y ait part
A l'amitié tant elle est grande !
Ah ! en fait-on ainsy ?
LA FEMME
Paix ! coquart.
LE CURÉ
Un doux baiser je vous demande.
(Il V embrasse.)
LE MUNIER
Orde vieille putain, truande,
En faictes-vous ainsy non mye ?
Vecy pour moy trop grand esclandre,
Par le saint sang 1
(// fait semblant de se lever, et la femme
vient à lui et fait semblant de le battre.)
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DU MEUNIER
291
LA FEMME
Quoy?
LE MUNIER
Rien, ma mye.
LA FEMME
150 Hon!
LE MUNIER
C'est le cueur qui me fremie
Dedans le corps et me fait braire,
Il a plus d'une heure et demie.
LE CURÉ
Mais comment vous le faictes taire ?
LA FEMME
S'il dit rien qui me soit contraire,
Couser le fais à mon devis.
LE CURÉ
Vous avez pouvoir volontaire
Dessus luy, selon mon advis.
LE MUNIER
Congé me fault prendre des vifs,
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292
FARCE JOYEUSE
Et m'en aller aux trépassés,
160 De bon cueur et non pas en vis,
Puisque mes beaux jours sont passés.
LE CURÉ
Avez- vous rien?
LA FEMME
Assez, assez,
De cela ne fault faire doubte.
LE MUNIER
Qu'est-ce que tant vous rabassez?
LA FEMME
Je cuyde, moy, que tu radoubte.
LE MUNIER
Vous semble-il que je n'oy goutte?
Si fays dea ! qui est ce gallant ?
Il vous guérira de la goutte,
Bien le sçay.
LA FEMME
C'est vostre parent,
170 A qui vostre mal apparent
A esté par moy figuré.
y Google
DU MEUNIER
293
LE MUNIER
Ce lignaige est trop différent.
LA FEMME
Par Dieu ! non est.
LE MUNIER
C'est bien juré,
Comment deable nostre curé
Est-il de nostre parentaige ?
LÀ FEMME
Quel curé?
LE MUNIER
C'est bien procuré.
LA FEMME
Par mon ame !
LE MUNIER
Vous dictes raige.
LA FEMME
Hee?
n. 25
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FARCE JOYEUSE
LE MUNIER
Ho!
LA FEMME
Tant de langaige,
C'est-il à payne d'un escu.
LE MUNIER
Saint Jehan ! s'il est de mon lignaige,
C'est du cartier devers le eu,
Je sçay bien que je suis cocu,
Mais quoy ? Dieu me doint patience.
LA FEMME
Ah ! paillart, est-ce bien vescu ?
Me dire ainsi ma conscience ?
Vous verrez vostre grant science,
Car je le vois faire venir*.
(Elle vient au curé.)
LE CURÉ
Qu'y a-t-il ? quoy?
LA FEMME
Faictes silence.
Pour mieux à nos fins parvenir, .
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DU MEUNIER
295
190 Bonne myne vous fault tenir,
Quand serez devant mon villain,
Et veuillez toujours maintenir
Qu'estes son grand cousin germain,
Entendez-vous ?
LE CURÉ
Ouy.
LA FEMME
La main
Luy mettrez dessus la poictrine,
En luy affirmant que demain
Le doibt venir voir sa cousine,
Et adviendra quelque voisine
Pour luy donner allégement;
200 Mais il vous fault légèrement
De ceste robe revêtir,
Et ce chapeau !
LE CURÉ
Par mon serment !
Pour faire nostre effort sortir,
Si vous ne voyez bien mentir,
Je suis content que Ton me pende,
Sans plus de ce cas m'advertir.
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FARCE JOYEUSE
LE MUNIER
Ah ! très orde, vieille truande,
Vous me baillez du cambouys,
Mais quoy 1 vous en paierez l'amende,
Se jamais de santé jouys.
Qu'en cecy dea ! je m esbays
Qui deable la tient, somme toute,
J'en despecheray le pays
Par le sang bien ! quoy qu'il me couste.
LE CURÉ
Que faictes-vous là?
LA FEMME
J'escoute
La complainte de mon badin.
LE CURÉ
Il fault qu'en bon train on le boute.
Dieu vous doingt bon jour ,mon cousin .
LE MUNIER
Il suffit bien d'estre voisin,
Sans estre de si grand lignaige.
LA FEMME
Regardez ce gros lymousin
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DU MEUNIER 297
Qui a toujours son hault couraige !
Parlez à vostre parentaige,
S'il vous plaist, en luy faisant feste.
LE CURÉ
Mon cousin, quelle est rostre raige?
LE MUNIER
Hai ! vous me rompez la teste .
LA FEMME
Par mon serment, c'est une beste
Ne pensez point à ce qu'il dit,
' Je vous en prie.
LE MUNIER
Cette requeste
230 Aura devers luy bon crédit.
LE CURÉ
Vous ai-je meffait ne mesdit,
Mon cousin, d'où nous vient cecy ?
LA FEMME
Sus! sus! que de Dieu soit mauldit,
Le vilain, et parlez icy.
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298 FARCE JOYEUSE
LE MON 1ER
Laissez-m'en paix.
LA FEMME
Est-il ainsy ?
Voyre ne parlerez-vous point?
LE MUNIER
J'ay de dueil le corps tout transy.
LE CURÉ
Par ma foy î je n'en doute point;
Où est-ce que le mal vous point?
240 Parlez-moy, je vous en prie.
LE MUNIER
Las ! mettez-moy la teste à point,
Car la mort de trop près m'espie.
LA FEMME
Parlez à Regnault Croque Pie,
Vostre cousin, qui vous vient voir.
LE MUNIER
Croque Pie î
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DU MEUNIER
299
LÀ FEMME
Ouy pour vous voir,
Pour faire vers vous son debvoir
Il est venu legièrement.
LE MUNIER
Ce n'est-il pas.
LA FEMME
Ce est vrayment.
LE MUNIER
Ha 1 mon cousin, par mon serment,
250 Humblement mercy vous demande
De bon cueur.
LE CURÉ
Et puis comment,
Mon cousin, dictes-moy, s'amende
Vostre douleur?
LE MUNIER
Elle est si grande
Que je ne sçay comment je dure.
LE CURÉ
Pour scavoir qui se recommande,
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300
FARCE JOYEUSE
A vous, mon cousin, je vous jure,
Ma foy dea 1 point ne me parjure ;
Que c'est Bietris, vostre cousine,
Ma femme, Jehanne Turelure,
260 Et Melot, sa bonne voisine,
Qui ont pris du chemin saisine,
Pour vous venir reconforter.
LE MUNIER
Loué soit la grâce divine,
Cousin, je ne me puis porter.
LE CURÉ
Il vous fault un peu déporter,
Et penser de faire grant chiere.
LE MUÂIER
Je ne me puis plus comporter,
Tant est ma maladie chiere.
Femme, sans faire la renchiere,
270 Mettez à coup la table icy,
Et luy apportez une chiere ;
Ci se serra.
LE CURÉ
Ah 1 grand merey,
Mon cousin, je suis bien ainsy,
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DU MEUNIER 301
Et si ne veulx menger ne boire.
LE MUNIER
J'ay sy très grand douleur par cy.
LE CURÉ
Ah! cousin, il est bien à croire,
Mais s'il plaist au doux roy de gloire,
Tantost recouvrerez santé.
LA FEMME
Je voys quérir du vin.
LE MUNIER
Voire ! voire !
280 Et apportez quelque pasté.
LA FEMME
Oncques de tel ne fut tasté.
Séez-vous.
LE MUNIER
Cousin, prenez place.
LA FEMME
Veecy pain et vin à planté.
Vous serrez-vous?
t. h. 26
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FARCE JOYEUSE
LE CURÉ
Sauf vostre grâce.
LE MUNIER
Fault-il que tant de myne on face,
Par le sang bieu ! c'est bien juré.
Vous vous serrez.
LE CURÉ
Sans plus d'espace,
Que vous ne soyez parjuré!
LE MUNIER
Ab 1 si c'estoit nostre curé,
Pas tant je ne l'en prieroye.
LE CURÉ
Hé ! pourquoy ?
LE HUNIER
Il m'a procuré
Aulcun cas que je vous diroye
Volontiers, mais je n'oseroye
De peur.
LE CURÉ
Dictes hardiment !
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DU MEUNIER
303
LE MUNIER
Non feray, car battu seroye.
LE CURÉ
Rien n'en diray, par mon serment.
LE MUNIER
Or bien donc, vous sçavez comment
Ces prestres sont adventureux,
Et nostre curé mesmement,
300 Est fort de ma femme amoureux,
De quoy j'ay le cueur douloureux
Et rempli de perplexité,
Car coquu je suis malheureux,
Bien le sçay.
LE CURÉ
Benedicite.
LE MUNIER
Le point de mon adversité,
Gist illec, sans nul contredit;
Gardez qu'il ne soit recité.
LE CURÉ
Jamais.
Digitized by
304
FARCE JOYEUSE
LA FEMME
Qu'est-ce qu'il dit ?
Je suis certaine qu'il mesdit
310 De moy ou d'aulcun mien amy.
Ne fait pas?
LE MUNIER
Non, par saint Remy.
LE CURÉ
Il me disoit qn'il n'a; dormy
Depuis quatre ou cinq jours en ça,
Et qu'il n'a si gros qu'un fremy,
Le cueur ne les boyaux.
LA FEMME
Or ça !
Beuvez de là, mengez de ça,
Mon cousin, sans plus de langaige.
LUCIFER
Haro ! deables d'enfer, j'enraige !
Je meurs de dueil, je pers le sens,
320 J'ai laissé puissance et couraige,
Pour la grand douleur que je sens
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DU MEUNIER
305
SATHAN
Nous sommes bien mille et cinq cens
Devant toy, que nous veux-tu dire ?
Fiers, fors, félons, deables puissans,
Pour tout le monde à mal produire.
LUCIFER
Coquins, paillars, il vous fault duyre
D'aller tout fouldroyer sur terre
Et de mal faire vous deduyre,
Que la sanglante mort vous serre.
S'il convient que je me deffere
De ceste goufifrureuse lice,
Je vous mettray sans plus enquerre,
En un ténébreux maléfice.
ASTAROTH
Chascun de nous a son office
En enfer ; que veux-tu qu'on face?
PROSERPINE
De faire nouvel édifice,
Tu n'as pas maintenant espace.
ASTAROTH
Je me contente.
ii. 26
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FARCE JOYEUSE
SATHAN
Et je me passe
De demander une aultre charge.
ASTAROTH
340 Je joue icy de passe passe,
Pour mieux faire mon tripotaige.
BERITH
Lucifer a peu de langaige,
En enfer je ne sçay que faire,
Car je n'ay office ne gaige,
Pour ma volunté bien parfaire.
LUCIFER
Qu'on te puisse aù gibet défaire,
Fils de putain, ord et immonde !
Doncques, pour ton estât refaire,
Il te fault aller par le monde,
350 A cette fin que tu confonde
Bauldement ou à l'aventure,
Dedans nostre abisme parfonde,
L'ame d'aulcune créature.
BERITH
Puisqu'il faull que ce mal procure,
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DU MEUNIER
307
Dy-moy doncques legierement
Par où Famé fait ouverture,
Quand elle sort premièrement ?
LUCIFER
Elle sort par le fondement,
Ne fais le guet qu'au trou du eu.
BERITH
360 Ha ! j'en auray subtilement
Un millier pour moins d'un escu.
Je m'y en voys.
LE MUNIER
D'avoir vescu
Si longtemps en vexation,
De la mort est mon corps vaincu.
Pour toute resolution,
Doncques sans grant dilation,
Allez-moy le prestre quérir,
Qui me donra confession,
S'il luy plaist, avant que mourir.
LE CURÉ
370 Or me dictes, fault-il courir,
Ou s'y j'yray tout bellement ?
(Il se va desvettr, et revêtir en curé.)
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308
FARCE JOYEUSE
LE MDNIER
S'il ne me vient tost secourir,
Je suis en un piteux tourment.
BERITH
Velà mon fait entièrement,
Munier, je vous voye soulager
Lame en auray soubdainement,
Avant que d'icy me bouger.
Or me fault-il pour abréger,
Soubz son lit ma place prendre.
380 Quand l'ame vouldra déloger,
En mon sac je la pourray prendre.
(Il se musse soubz le lit du munier à
tout son sac.)
LE CURÉ
Comment dea ! je ne puis entendre,
Munier, qu'est cecy ?
LE MUNIER
A la mort me convient estandre
Avant que je parte d'icy.
Pour tant je crye à Dieu mercy,
Devant que le dur pas passer ;
Sur ce point mettez-vous icy,
Et me veuillez tost confesser.
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DU MEUNIER
309
LE CURÉ
390 Dictes.
LE MUNIER
Vous devez commencer,
Me disant mon cas en substance.
LE CURÉ
Hé ! comment ! je ne puis penser
L'effet de vostre conscience ?
LE MUNIER
Ah ! curé, je pers patience.
LE CURÉ
Commencez toujours ne vous chaille,
Et ayez en Dieu confiance.
LE MUNIER
Or ça ! donques vaille que vaille,
Quoyqu'à la mort fort je travaille,
Mon cas vous sera relaté.
400 Jamais je ne fus en bataille,
Mais pour boire en une boutaille ,
J'ay tousjours le mestier hanté.
Ainsy fut d'hiver, fut d'esté,
J'ay bons champions fréquenté,
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310
FARCE JOYEUSE
Et gourmets de fine vinée,
Tant que rabattu et conté
Quelque chose qu'il m'ait costé.
J'ay bien ma face enluminée ;
Après tout le long de Tannée,
410 J'ay ma volonté ordonnée
Comme sçavez à mon moulin,
Où plus que nul de mère née,
J'ay souvent la trousse donnée,
A Gaultier, Guillaume ou Colin,
Et en sacs de chanvre ou de lin,
De bled valant plus d'un carlin,
Pour la doubte des adventures,
A tout un petit picotin,
Je pris du soir et du matin,
420 Tousjours d'un sac doubles moustures,
De cela ûs mes nourritures,
Et rabattis mes grans coustures,
Quoy qu'il soit faisant bonne mine,
Somme de toutes créatures,
Pour supporter mes forfaictures,
Tout m'estoit bon bran et farine.
LE CURÉ
Celuy qui est hault domine,
Et qui les mondains enlumine,
Vous en doint pardon par sa grâce.
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DU MEUNIER 31 *
LE MUNIER
430 Mon ventre trop se détermine,
Helas ! je ne sçay que je face,
Ostez-vous.
LE CURÉ
Ah ! sauf vostre grâce !
LE MUNIER
Ostez-vous, car je me conchye.
LE CURE
Par saint Jehan! sire, prou vous face.
Fy !
LE MUNIER
C'est merde refraichie.
Apportez tost une brechie,
Ou une tasse, sans plus braire,
Pour faire ce qu'est nécessaire ;
Las ! à la mort, je suis es lit.
LA FEMME
440 Pensez si vous voulez de traire,
Pour mieux prendre vostre delict,
Vostre cul au dehors du lit,
Par là s'en peult vostre ame aller*.
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FARCE JOYEUS£
LE MUNIER
Hehts ! regardez si volez,
La verrez point parler d'atemps.
(Il met le cul hors du lit, et le diable tend
son sac ce pendant qu'il chie dedans,
puis s'en va criant et hurlant.)
BERITH
J'ay beau gaulder, j'ay beau galler,
Roy Lucifer à moy entens,
J'en ay fait de si maulx contens,
Que proye nouvelle j'apporte.
LUCIFER
450 Attens un bien petit, attens,
Je te voye faire ouvrir la porte.
Diables d'enfer, sus, qu'on luy porte
Une chauldiere en ce lieu cy,
Et sachez comme se comporte
Le butin qu'il admayno icy.
(Ils luy apportent une chauldiere, puis il
verse son sac, qui est plein de bran
meuble.)
SATHAN
Qu'est cela ?
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DU MEUNIER
313
PROSERPINE
Que deable est cecy?
Ce semble merde toute pure !
LUCIFER
C'est mon ! je la sens bien d'icy.
Fy ! fy ! ostez-moy cette ordure.
BERITH
460 D'un munier remply de froidure,
Voy en cy l'ame toute entière !
LUCIFER
D'un munier ?
SATHAN
Fy î quelle matière !
LUCIFER
Par où la prins-tu ?
BERITH
Par derrière,
Voyant le eu à descouvert.
LUCIFER
Or qu'il n'y ait coing ne caverne
t. il. 27
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FARCE JOYEUSE
D'enfer que tout ne soit ouvert,
Un tour nous a baillé trop vert.
Brou ! je suis tout enpuanti,
Tu as mal ton cas recouvert.
SATHAN
470 Oncques tel chose ne senty.
LUCIFER
Sus à coup i qu'il soit assorty,
Et battu très vilainement.
SATHAN
Je luy feray mauvais party.
(Ils le battent.)
BERITH
A la mort !
LUCIFER
Frappez hardiment î
BERITH
A deux genoux très humblement,
Lucifer, je te crye mercy,
Te promettant certainement,
Puisque congnoys mon cas ainsy,
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DU MEUNIER
.315
Que jamais n'apporteray cy,
480 Ame de munier ne muniere.
LUCIFER
Or te souviengne de cecy,
Puisque tu as grâce planiere,
Et garde d'y tourner arrière,
D'aultant que tu ayme ta vie.
Aussy devant ne de costiere,
Sur payne de hayne assouvie,
Deffens que nully par envie
Désormais l'ame ne procure
De munier estre icy ravie.
490 Car ce n'est que bran et ordure.
FIN
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TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CE VOLUME
Pages
Farce nouvelle de Colin, fils de Thénot 5
Farce nouvelle à cinq personnages, la Mère, la
Fille, le Tesmoing, l'Amoureux et l'Official. 34
Farce du Poulier, à quatre personnages 59
Farce du Poulier, à six personnages 89
Farce du Rétraict 145
Farce des trois Commères et un Vendeur de
livres 187
Farce du Vendeur de livres et deux Femmes. 207
Farce du Cousturier et son Varlet, deux jeunes
filles et une Vieille 225
Farce du vieil Amoureux et du jeune Amou-
reux 25ï
Farce joyeuse du Meunier, dont le diable em-
porte l'âme en enfer 271
FIN DE LA TABLE DU TOME II.
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J
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